gobi
Merci de ton intérêt pour le sujet des Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts (leur nouveau nom officiel depuis l’arrêté de 2019).
Pour être transparente sur ma démarche, et donc la pertinence des renseignements que je suis susceptible de délivrer sur ce forum, je ne suis pas écologue de formation, ni naturaliste, et c’est en qualité première de juriste que je m’intéresse à ce sujet. Je m’apprête en effet à participer, au sein du pôle juridique d’une association de protection de la faune sauvage, à la contestation de ces dispositions.
Dans ce cadre, un certain nombre de référentiels de base m’a été fourni, comme celui édité par la Société Française d’Etude des Petits Mammifères, qui est assez exhaustif et cite ses sources, toutes tirées d’études scientifiques. Voici le lien :
https://www.sfepm.org/sites/default/files/inline-files/Avis_SFEPM_classement_ESOD_2022_web_1.pdf
J’ai par ailleurs effectué de mon côté une revue de la littérature internationale sur ces espèces et les politiques de régulation susceptibles de les concerner. L’absence d’études concernant la France est édifiante. Un article rédigé par l’un des membres du Conseil National de la Chasse et de la Faune Sauvage, Frédéric JIGUET, y figure néanmoins et résume les principales lacunes de la politique de régulation à la Française :
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006320720307515
En résumé, ce qui est contesté de la part des opposants au projet, c’est l’absence d’objectivité à tous les stades de la procédure :
-Au niveau de l’établissement de la réalité des dégâts : Les dégâts causés aux activités humaines relèvent d’un régime purement déclaratif (tu peux toi-même déclarer ce que tu veux comme dommage et l’imputer à qui tu veux). Or, ce sont ces déclarations qui vont fonder en grande partie le classement.
Lorsque les dégâts déclarés (et non constatés ;)) ne suffisent pas, le Conseil d’Etat admet alors que le classement est envisageable en raison de l’abondance de l’espèce (fixé à 500 animaux piégés) et du risque que cette abondance fait courir aux activités locales. Là encore, le critère d’abondance est très contestable scientifiquement.
Ces chiffres peuvent donc être totalement manipulés par les personnes ayant un intérêt à la réduction de ces espèces sur un territoire donné, notamment dans une perspective cynégétique (concurrence arguée de ces espèces sur le petit gibier-lièvres, perdrix, faisans)
Ni la réalité, ni l’étendue, ni la cause des dégâts n’a donc à être objectivement démontrée, pour in fine obtenir la destruction d’espèces.
Et c’est là le second point.
-Au niveau des solutions retenues pour remédier aux dégâts : A les considérer comme établis, les dégâts sont susceptibles de recevoir des solutions autre que la destruction d’une espèce (destruction est le terme juridique employé dans les textes, il ne s’agit donc pas d’une « extermination », ni d’une « régulation raisonnée »). Une étude menée en Bresse a par exemple établi que la prédation spécialisée sur les volailles était le fait de 4 % d’individus (mères en été) et que des solutions individualisées devaient par conséquent être promues.
Pour la martre des pins et le putois (retiré de la liste en raison d’une condamnation du Conseil d’Etat), une directive européenne oblige même à rechercher des solutions alternatives.
Dans les faits, aucune de ces démarches n’est entamée, alors que des mesures de prévention simples-comme rentrer les poules la nuit-devraient systématiquement être privilégiées.
La destruction est donc la voie choisie, et elle est susceptible de conduire à de graves atteintes écosystémiques, sans même produire l’effet recherché (la baisse d’une population donnée, et les prétendus dégâts associés).
En l’absence de données satisfaisantes sur l’état de conservation de ces espèces, notamment les mustélidés, il est possible que la régulation conduise à leur disparition (état préoccupant du putois).
Par ailleurs, les services écosystémiques rendus par les espèces en question (destruction des rongeurs-porteurs de la maladie de Lyme, attaquant les cultures-, la dispersion des graines, etc) ne sont pas pris en considération.
L’imputation à ces espèces de certains dégâts causés à la faune- comme la disparition du lièvre ou de la perdrix grise ou des passereaux-conduisent à différer l’adoption des solutions identifiées par la communauté scientifique pour y remédier : enrayer la dégradation des milieux naturels, restaurer les zones humides et les bocages, agir pour le maintien de zones d’agriculture extensive, modifier les pratiques cynégétiques (intensité des prélèvements et des lâchers d’espèces exotiques comme le faisan qui contamine et concurrence la faune native).
Surtout la solution consistant en la destruction de ces espèces peut s’avérer inefficiente, voire contre-productive. Le renard adopte des comportements compensatoires aux destructions massives dont il fait l’objet (500 000 en France par an), de sorte qu’aussitôt après avoir été exclu d’un territoire, ce dernier est très vite recolonisé par d’autres…Pire, cela engendre un effet de dispersion des parasites qu’il est susceptible de véhiculer.
Toute cette débauche d’efforts inutiles est d’autant plus critiquable que le recours à des procédés très cruels, comme le déterrage des renards, est utilisé.
- Au niveau des instances susceptibles d'informer les décideurs: Aucune évaluation de l'efficience des politiques de régulation menées depuis des décennies n'est menée. 2 instances (locale et nationale)sont censées éclairer la décision du ministre, mais les scientifiques y sont tellement peu représentés que leur voix en est inaudible face à la majorité écrasante des chasseurs qui les constituent...
Voilà, je sais pas si cela répond à tes interrogations
Ha oui pour la prise de décision au niveau national, elle se fait sur la base des dossiers préfectoraux, après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage dans sa composition restreinte, puis après avis au niveau national du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
L'arrêté ministériel précise pour chaque département le type d'espèces considérées comme ESOD, et nouveauté cette année, les possibilités spécifiques de destruction (certains départements ont faitle choix d'exclure le déterrage des renards)
Je mets le lien du projet d'arrêté :
https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/projet_arrete_esod_2023-2026.pdf