Le droit du cheval pour les nuls n°4

Le droit du bour… euh, le droit du cheval pour les nuls – fiche n°4 : Les monos, y sont beaux ! Les patrons, sont des c… !

Un jour tranquille au centre équestre de la Galoperie, Jean-Maurice, mon cheval qui parle, lisait dans son box « La critique de la raison pure ». Oui, Jean-Maurice sait aussi lire, et il adore Kant, deux caractéristiques assez peu courantes chez les équidés sauf chez les chevaux de dressage allemands. Quant à moi je lui tournais les pages en me demandant où j’avais bien pu mettre les clés de la camionnette.

« ÇA BICHE LES BRANLEURS ?! »

C’était Marie-Bourriquette, la monitrice surdiplômée, dont tous les clubs de la région nous envient l’élégance et la distinction de semi-remorque, sans parler des effluves de fonds de box qu’elle dégage du matin au soir et qui contribuent beaucoup au maintien de son statut de célibataire.

Elle avait écrit « MONO EN GRAIVE ! » sur son front, avec ce qui ressemblait fort à du goudron de Norvège. A moins que ce ne fut de la… enfin, bref.

Marie-Bou, quel bonheur de te voir. Il y aurait-t-il du mouvement social dans l’air ?

Put… un peu que y’a du mouvement ! Ça peut plus durer la spoliation du bon peuple des travailleurs de ce club par ce suppôt du grand capital qu’est Désiré-Paul. J’ai adhéré à deux syndicats, « Cancer Généralisé du Travail » (CGT) et « gardez vos Forces, les Ouvriers » (FO), alors je peux vous dire que ça va ch…. Et vous deux, puisqu’il paraît que vous vous y connaissez en tout ce qu’est droit juridique de la justice, vous allez m’aider.

Oui, alors là, tu vois, ça ne serait pas de refus, mais je suis en pleine communication animale avec Jean-Maurice. Je suis sûr qu’il sait où j’ai mis les clés de la camionnette, je les avais hier quand je suis venu lui râper ses carottes, et puis…

La communication animale ? Ce truc d’adolescente gothique en pleine descente de LSD ? Tu veux pas essayer de lire l’avenir dans le crottin, non plus ? Il parle, ton cheval, t’as qu’à lui poser la question !

Humh, Hummmhh ! intervint Jean-Maurice, en parlant de crottin, je les ai mangées, tes clés. Tu devrais les retrouver dans le paddock ou dans le tas de fumier.

Bah tu vois ! Bon, maintenant vous m’écoutez ou je dis à tout le monde que c’est vous qui avez fait pipi dans le casque de Kimberley juste avant son départ pour le CSI de Fouchion-en-Marconnais.

Alors là, Marie-Bouriquette, on est vraiment peinés Jean-Maurice et moi des graves accusations que tu… Eh ! Attends, reviens ! Tu sais bien qu’on t’adore et qu’on pense qu’à côté de tes cours, la reprise des écuyers du Cadre Noir, c’est du baby poney ! Que pouvons-nous faire pour toi ?

Eh bah, Désiré-Paul, après m’avoir mise à pied à la suite du comportement, je dirais, « un petit peu joueur » de Terminator de la Fosse Commune avec Kimberley, veut maintenant que je démissionne, mais que je continue à travailler pour lui en « auto-entrepreneuse » ! Y paraît que c’est la faute à l’Europe et à la « télé A ».

Le « jeu » de Terminator, c’est bien quand il a essayé de tuer Kim au milieu de l’une de tes reprises et qu’il a fini par l’expédier dans la fosse à purin ?

Mouais, si on veut, enfin ça c’est la version de la police, hein. Mais c’est pas tout, Désiré-Paul et bah i’ dit que je dois lui payer une pension pour mon cheval de concours, Toquarus de la Boîterie. Mais c’est pas avec mon smic de roumaine et trois tickets restau que je vais payer sa pitance. Il bouffe quand même ses 37 kilos de foin et ses 18 litres de granulés par jour, mon bébé-chou-d’amour.

C’est peut-être pour ça qu’il passe plus la porte de son box, ton morceau de saindoux, observa Jean-Maurice.

Toi, le philosophe à sabots, tu la ramènes pas trop parce que la prochaine fois que le Docteur Tort-Nez passera pour une castration, il pourrait bien y avoir une erreur d’étiquetage.

J’en ai une autre : Désiré-Paul m’a aussi fait signer un papier super chelou où qu’i’ y’avait marqué « délégation de pouvoirs ». Il veut pas me le rendre et j’ai l’impression que ça a à voir avec la plainte qu’a déposée Marcel-Edouard, le papa de Kimberley, pour « mauvais traitements à adolescente attardée ».

Et attendez, attendez, c’est pas tout : j’en ai marre de travailler tous les dimanches de l’années à cause des concours, et puis je me suis faite enguirlandée parce que j’étais montée sans casque sur Mouillette, la shet de Kimberley, histoire de la remettre dans le droit chemin. C’est quoi que vous en pensez ?

Marie-Bourriquette, tu as frappé à la porte du bon box.

Alors pour commencer, on sait que c’est super mode l’auto-entreprenariat chez les moniteurs sans domicile fixe, mais nous, on est pas fans. Il faut en effet rappeler que le contrat de travail se caractérise avant toute chose par l’existence d’un lien de subordination entre l’employeur et le salarié, et que la preuve de ce lien résulte en général du pouvoir qu’a l’employeur d’organiser le travail de son salarié en fixant les tâches à accomplir, les horaires, etc. Or, un autoentrepreneur est par définition une personne qui n’a pas de patron mais des clients, et qui organise son travail comme il l’entend. Il en résulte que, si sur le principe on peut admettre qu’un entrepreneur n’ait qu’un seul client, il n’en demeure pas moins que c’est Désiré-Paul qui continuera, par exemples, à fixer les horaires, les niveaux et les participants aux reprises de la Galoperie, et que tu devras t’y conformer. C’est lui qui en outre fournira les poneys et les installations. Et comme en plus il n’est pas exclu que lui et toi soyez suffisamment truffes pour convenir d’une rémunération fixe et mensuelle, vous fournirez à l’inspecteur du travail bien assez d’éléments pour qu’il fasse un petit signalement au Procureur de la République des faits constitutifs du délit de travail dissimulé qu’il aura constaté.

Au surplus, on se permet de te rappeler que si l’employeur assume en principe les conséquences civiles des fautes de ses salariés, c’est-à-dire par exemple le remboursement du slim que Kimberley a noyé dans le purin, les autoentrepreneurs répondent personnellement de leurs fautes. Autrement dit, les moniteurs qui exercent sous cette forme feraient bien de s’assurer en responsabilité civile professionnelle, parce qu’en cas d’accident personne ne les couvre.

Quant à la délégation de pouvoir, Jean-Maurice et moi venons de te dire que tant que tu es salariée, c’est Désiré-Paul qui assume les conséquences civiles de tes fautes. Mais, en réalité, cela peut aller un peu plus loin parce qu’en sa qualité de dirigeant de la Galoperie, il peut aussi être poursuivi devant une juridiction pénale pour les fautes que tu pourrais commettre en qualité de salariée et qui seraient constitutives d’une infraction pénale. Genre violences involontaires, ou pire. Enfin, le genre de chose qui peut arriver lorsqu’une monitrice confie un tueur en série à une gorette de 16 ans et demi ayant le niveau d’équitation et le QI d’une huître, si tu vois ce qu’on veut dire.

Le but de la délégation de pouvoir, c’est de décharger Désiré-Paul de cette responsabilité pénale en t’instituant seule et unique responsable pénale de tes actes. Pour toi, cela n’a aucun intérêt, mais pour ton patron c’est l’occasion d’éviter les menottes aux poignets. Mais attention, pour être valable la délégation en question doit, entre autres, faire l’objet d’un écrit signé par le salarié et elle suppose que le salarié en question ait des compétences professionnelles suffisantes et qu’on lui fournissent les moyens matériels d’accomplir sa tâche dans des conditions de sécurité suffisante.

Donc, si j’ai bien tout compris : le moniteur auto-entrepreneur est une quiche qui ne sait pas qu’il bosse illégalement et qu’il peut perdre son slip en cas d’accident, alors que le moniteur salarié ne sort jamais son chéquier quand un élève se gauffre par sa faute, mais il peut toujours se retrouver en taule, avec son patron ou tout seul s’il a signé le papelard qui va bien. Correct ?

Marie-Bouriquette, on voit que tu as fait des études.

Bon, et pour mon Toquarus ?

Si on le bouffait au prochain barbecue du club, risqua Jean-Maurice avant de se réfugier immédiatement au fond de son box sous l’œil noir de Marie-Bou.

Alors là, il y a une légende qui voudrait que les moniteurs seraient en droit d’exiger de leur patron qu’il loge et qu’il nourrisse leur canasson à l’œil. Dommage pour eux, parce que ce n’est pas ce que dit la convention collective des salariés des centres équestres. Je ne rentre pas dans les détails, mais grosso modo il faut retenir ceci : il y a deux systèmes possibles. Dans un premier cas, l’employeur et le moniteur conviennent que la pension du cheval sera un avantage en nature, c’est à dire que le moniteur devra payer des impôts sur la valeur de cet avantage, qui apparaîtra sur son bulletin de paie et sur laquelle il y aura des charges sociales. Toujours dans ce cas de figure, l’employeur retiendra sur la paie du moniteur au minimum la moitié du prix de la pension de base TTC pratiquée dans l’établissement ou, au choix, le prix de revient. Le solde constitue la valeur de l’avantage. Tu arrives à suivre ou pas ? Bon, dans le second système, l’employeur et le moniteur conviennent qu’il n’y a pas d’avantage en nature. Là, rien n’apparaît sur la fiche de paie, donc pas d’impôt et pas de charge. En revanche, ici l’employeur va devoir facturer au moniteur le prix normal de la pension, avec une remise maximale de 30% par rapport au tarif « public ». Si la remise est supérieure, on tombe dans le système de l’avantage en nature. Voilà. Autant te dire qu’ils sont pas légion les centres équestres à appliquer correctement ces règles-là !

Bon, ok, alors je vais pas trop la ramener sur le sujet. Et mes dimanches ?

Vas à la messe, dit Jean-Maurice qui était revenu sur la pointe des sabots. Ça sera pas pire pour les résultats de la Galoperie en concours.

Marie-Bou, repose cette fourche, tu connais l’humour de mon cheval, quand même. S’agissant des dimanches, il faut retenir que le moniteur qui n’est pas cadre a droit à un jour complet de repos par semaine et que parmi ces jours de repos, il doit y avoir au moins 12 dimanches dans l’année. Donc impossible pour toi de travailler tous les dimanche de l’année, concours ou pas concours. Et je vais t’en apprendre une bonne, je connais un tas de moniteurs non cadres persuadés que lorsqu’ils travaillent un dimanche, ils ont droit à un repos compensateur d’une journée en plus de leur journée de repos hebdomadaire normale. Sauf que ça n’est pas vrai : ce n’est que lorsqu’il avait été prévu que le moniteur ne travaille pas un dimanche, mais que l’employeur l’a néanmoins, à titre exceptionnel, rappelé pour qu’il vienne travailler, que le droit à repos compensateur se déclenche. Et ce repos compensateur, il faut que le moniteur le prenne dans les deux semaines suivantes, sinon il est perdu.

Ça alors ! Moi qui étais persuadée d’avoir accumulée 8.597 jours de récupération depuis que je bosse ici et pouvoir prendre ma retraite à 42 ans, j’en suis pour mes frais…

J’en ai peur. Bon, je termine rapidement avec cette histoire de casque. Tu n’es pas sans savoir qu’à l’heure actuelle, et c’est bien dommage, aucun texte n’impose à personne le port du casque, sauf en concours. Sauf que voilà, l’employeur qu’est Désiré-Paul, est tenu vis-à-vis de ses salariés, dont tu fais partie, d’une obligation de sécurité de résultat. Autrement dit, si tu te vautres pendant ton temps de travail, il est responsable de plein droit sauf à ce qu’il démontre qu’il n’a commis aucune faute, c’est-à-dire qu’il a veillé au respect des règles élémentaires de sécurité mais que malgré cela et par pure fatalité, l’accident est survenu. C’est ce qu’on appelle la faute inexcusable. Or, même si le port du casque n’est pas une règle écrite, il n’en demeure pas moins que c’est un usage communément admis dans le monde de l’équitation, et qu’en porter une relève du pur bon sens face à la dangerosité de la pratique équestre. Donc si Désiré-Paul te laisse monter sans casque, il commet une faute inexcusable parce qu’il a nécessairement conscience du danger. J’ajoute que, très probablement, dans la police d’assurance qu’a souscrite Désiré-Paul pour garantir la responsabilité de son CE, il y a une clause qui dit que tout le monde devra porter un casque, à défaut de quoi l’assureur ne paiera pas.

Donc il a eu raison de me remonter les bretelles ?

Il aurait surtout du te virer, dit Jean-Maurice, pour retourner aussitôt se cacher sous son abreuvoir pendant que Marie-Bourriquette allait chercher des laxatifs pour les mélanger à sa ration de granulés.

Je la laissais faire. Sait-on jamais, mes clés ne sont peut-être pas encore sorties.

La prochaine fois, nous nous demanderons si Jean-Maurice aurait ses chances aux prochaines élections présidentielles.

Merci de votre attention.