Envie d'un peu de lecture inédite? NOUVEAUX TEXTES

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Syliam

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Envie d'un peu de lecture inédite? NOUVEAUX TEXTES
Posté le 30/07/2009 à 13h19

Coucou !

Voilà, j'écris pas mal de trucs et j'aimerais bien avoir vos avis... J'ai déjà écrit des textes plus longs, mais des chapitres sur un forum, c'est pas le plus simple
Donc, je vais déjà poster ma toute dernière nouvelle (petit roman court en un seul chapitre, pour ceux qui ne savent pas ce que c'est) et j'attends avec impatience vos commentaires...


Dans l'ordre : - "Sans titre" (titre à proposer ^^) - Mai 2009
- "Une si longue attente" - Janvier 2009
- "Légendes Urbaines" - Décembre 2008

EDIT : il faut aller chercher les 2 autres textes dans le post... sinon mon post de départ est trop long !

IMPORTANT ! dans mes textes, je fais souvent des allusions à mon college, comme j'aurais voulu le préciser avant c'est mon ancien collège, et ces textes étaient destinés à potes, il y a donc parfois des phrases ou des allusions que vous pourriez ne pas comprendre, vu qu'elles se réfèrent à des lieux ou, plus souvent, des personnes élèves là-bas... Bonne lecture ! :)

CETTE HISTOIRE N'A PAS DE TITRE, JE SUIS DÉSOLÉE ! (si vous en trouvez un proposez xD)


NOTE DE L'AUTEUR :

C'est de loin ma nouvelle préférée. Je l'ai écrite durant ce dernier mois de Mai. Mais attention, hein, je ne veux pas que ça m'attire d'ennuis, alors je préfère être claire : je n'incite personne à faire de même que ce qui est raconté ci-dessous. Et CE NE SONT PAS mes convictions personnelles, juste celles que j'ai attribuées à mon héroïne et son amie. JE NE SUIS PAS D'ACCORD AVEC CES PRINCIPES, c'était juste une manière de (faire) réfléchir sur les limites de la liberté, des choix, des convictions et aussi, réutiliser quelques expériences personnelles (et là, ceux qui me connaissent se disent : AH ! heureusement que j'ai pris la peine de lire ce pavé qui sert d'introduction, on aura au moins appris quelque chose sur l'auteur) parce que je trouve que ça cadre bien avec ce contexte tragique. Et je connais peu de personnes qui soient aussi heureuses de vivre que moi, sauf dans mes coups de blues mais évidemment tout le monde en a, personne n'est immunisé contre la douleur du coeur et heureusement, c'est le seul moyen de garder les pieds sur terre. Ainsi, les moments qui font partie de mes propres souvenirs sont les plus agréables qui sont cités ici (CQFD).
Une histoire de ce genre a éclos dans ma tête alors que je venais de terminer de lire 'Antigone' après une pause déjeuner pas vraiment fructueuse. 'Antigone', j'adore, c'est de la passion, de l'horreur et de la gaminerie héroïque du début à la fin. Bien sûr, il aurait fallu y rajouter un peu de piment, genre complots, boucheries et scènes à censurer pour que ce soit carrément intéressant. Mais c'est du grand public, hein. Alors, pour de la lecture de cours de français de 3e, c'est déjà pas si mal. Bref, ce livre est une excellente tragédie. Je suis ravie qu'on l'étudie, même si j'ai davantage appris dedans à ma première lecture sur-le-vif qu'en la décortiquant en cours, coupant les cheveux en quatre avec la prof alors que, pourtant, c'est tellement évident, les sentiments, les idéaux, les envies, les peines, les destinées, tout cela en un fil doré sur le métier à tisser des Parques d'Anouilh, merveilleux auteur plein de génie. Et j'avais envie d'utiliser un peu ce que ce bouquin m'a fait comprendre, tout en gardant une optique de drame plutôt que de tragédie – pas envie de faire mourir mon héroïne principale, sachant que, pour ne pas dire que c'est moi, elle me ressemble à s'y méprendre. Et que l'attitude de son amie à été reprise tellement de fois dans la vraie vie qu'il me semble important de s'y pencher. Et ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Bonne lecture.

***


Dire que la vie vaut la peine d'être vécue est un argument idiot pour convaincre les suicidaires de s'épargner en toute bonne conscience. C'est l'argument suprême pour ne pas se sentir misérable face à la méchanceté de notre acte : détourner quelqu'un de ses convictions. Se donner la mort n'est-il pas un cadeau que l'on s'octroie le luxe de se faire ? Ne dit-on pas que chacun doit suivre sa route ? Puisque tout est écrit...
Oh, ma Lena, je te supplie de me pardonner. Jamais je n'aurais dû tenter de changer ta destinée. M'en voudras-tu encore longtemps ? Comment pourrai-je savoir ma rédemption, maintenant que tu t'en es allée, loin, si loin de moi ?
Ma Selena, mon bonheur, mon amie... Ma meilleure amie, la vraie, l'unique, celle que j'ai trahie.
Jamais je ne t'oublierai.

***

- Selena Martin, tu me feras tourner en bourrique avant la fin de cette année scolaire, assénai-je en faisant les gros yeux à Lena.
- Pfff, n'importe quoi. Si ce n'est pas moi qui le fait, ce sera n'importe qui qui s'en chargera et ce sera du travail bâclé... rétorqua-t-elle en me tournant résolument le dos. Pourrir la vie de quelqu'un est un boulot de chaque instant.
- Dit encore une fois quelque chose et ta vie deviendra un enfer, Lena, la prévins-je en me mordant l'intérieur des joues pour ne pas rire.
- « Quelque chose », persifla-t-elle, une moue désabusée sur ses lèvres d'une jolie couleur pêche.

Je fis mine de la gifler, elle se détourna à temps. Nos regards se croisèrent, nous tentâmes de nous retenir, puis nous éclatâmes de rire de concert, et tous les visages de la cafétéria du lycée se retournèrent vers nous, se demandant quelle pouvait être la cause de ce vacarme.

- C'est elle qui à commencé, assurâmes-nous en choeur aux premières personnes dont nous croisâmes le regard.
- Gamines, marmonna un gars assis un peu plus loin, ébouriffant négligemment ses cheveux blond-doré de la main, ses yeux très clair vrillés sur moi – je rougis sans trop bien savoir pourquoi.
- Hé, Matthieu, l'apostrophai-je, c'est qui qui est allé à Disneyland le week-end dernier ?
- On ne dit pas « c'est qui qui », Maé, me morigéna-t-il avec le sourire en coin qu'il m'adressait souvent, ses prunelles bleu-gris brillant d'un éclat joueur.
- Je sais. C'est juste pour t'énerver, dis-je d'un ton coupable en détournant les yeux.

Selena m'adressa un sourire triomphant. Je me mordis la lèvre. Oups, ça y était, elle allait croire que j'étais amoureuse. Ce qui était faux. En tout cas par rapport à Matthieu. Ou bien... non, je ne l'aimais pas, point barre.
« Non ! » articulai-je en silence. « Ce n'est pas ce que tu crois ».
« OK », répondit-elle de la même façon. L'air peu convaincu cependant, ce qui me désespéra.
Selena était ma meilleure amie ; pas de cette manière qu'ont aujourd'hui les adolescentes de se décréter « meilleures coupiiines PLV, PQT parce que JTD bestàààh » sous prétexte que cela fait mieux lorsqu'on a pas de simples « bons amis ». Nous étions comme deux moitiés d'un même corps, que l'on avait séparées par accident ou au contraire, dans le but de les faire s'enrichir l'une de l'autre. L'idée que la Providence nous eût fait ce cadeau me plaisait bien, aussi était-ce la version que je conservais en mémoire lorsque nous nous disputions. Car, aussi peu probable que cela puisse sembler, les âmes soeurs se fâchent, parfois. Partager ses plus intimes convictions avec quelqu'un est parfois désagréable, car avoir toujours une personne du même avis que soi finit par être lassant.
Une de nos plus mémorables altercations datait de quelques mois avant cette scène de déjeuner, alors que Sam Mondoloni m'avait invité à déjeuner alors que mes parents n'en savaient rien (et désapprouvaient cordialement le garçon en question). J'avais demandé à Lena quel était son avis sur la question, et elle m'avait rétorqué que son avis était le mien, et que j'étais libre de suivre mon coeur.
Manque de chance, je m'étais faite prendre par mon père qui avait emmené des collègues prendre un verre dans le même café que celui que Sam avait choisi.
J'avais subi l'engueulade du siècle à la maison, et n'avait pas eu l'humeur adéquate pour compter fleurette avec Sam ni pour plaisanter avec Selena. Aussi, les deux avaient reçu mes foudres pendant une semaine, si bien que Sam avait battu en retraite et Lena, engagé la bataille – c'était à laquelle passait le plus ses nerfs sur l'autre.
Puis, le dernier jour de cette dispute, elle m'avait adressé un reproche qui m'avait atteint droit au coeur :

- C'est de ta faute, de toute manière ! Tout est toujours, inévitablement de ta faute ! Regarde autour de toi, bon sang, REGARDE ! Le jour où il arrivera un accident, repense bien à ce que tu auras fait avant, et tu constatera, j'en suis certaine, que tu y auras quelque chose à voir ! Souviens-toi de ce que je te dis là...

Je l'avais longuement regardé, l'avais imploré silencieusement par chaque fibre de mon corps d'éclater de rire et de me dire qu'elle avait réussi son coup, qu'elle s'était bien moquée de moi. Mais non, rien, et elle m'avait toisé de longues minutes, attendant que ma rage contre elle reprenne le dessus sur ma surprise. Mais cette fois l'étonnement s'était mu en tristesse, et je n'avais plus envie de crier mais de pleurer.
Ce que j'avais fait.
Je m'étais affalée contre le mur du couloir où nous nous disputions, avais plongé mon visage dans mes mains et m'étais mise à sangloter, puis à verser de vraies larmes, puis à me transformer en Madeleine. Elle m'avait dévisagée sans comprendre, puis avait étouffé un « oh ! » douloureux et m'avait prise dans ses bras.

- Maé... Là, ma belle, je disais ça comme ça...
- Oui, comme ça, avais-je reniflé. Comme ça, mais pas pour rire.
- Mais si, Maëlle, crois-moi... C'étaient des paroles en l'air.

J'avais acquiescé sans la croire, et nous nous étions réconciliées sans même avoir à dire « je te pardonne ». C'était ainsi entre nous, une osmose quasi-magique qui n'avait pas besoin de paroles. Malgré tout, le souvenir de ses imprécations restait brûlant dans ma mémoire et cet instant, imprimé dans ma rétine, revenait fréquemment le soir, avant que je m'endorme, lorsque je fermais les yeux.

- Hé, oh ! Maé, arrête de rêvasser et finis tes pâtes, par pitié.
- Hein ?

Brutalement projetée dans la réalité, je clignai des yeux, perdue. Le visage souriant de ma moitié fit couler un frisson glacé le long de ma colonne vertébrale : il y avait une lueur si confiante dans ses yeux. Avais-je déjà prévu de la trahir ? Non, je ne pense pas, ou en tout cas, mon inconscient me l'avait bien dissimulé. Sinon, je peux jurer sur des millions de vies innocentes que je me serais écartée d'elle le plus loin possible, et le plus rapidement, pour empêcher mon intervention dans ses décisions.

- Je disais, reprit-elle d'un ton maternel, que si tu ne te grouille pas, on va se faire enguirlander par Madame P. et on ratera dix minutes de cours. Et en plus, la bolognaise froide, c'est dégueulasse.
- Ah... oui. De toute façon, je n'ai plus vraiment faim, avouai-je.

Elle vit dans mon regard que je ne mentais pas pour lui faire plaisir et acquiesça, débarrassant la table de son propre plateau.

- J'espère qu'elle sera de bonne humeur, la prof, aujourd'hui... râlai-je, reprenant peu à peu mon assurance habituelle. D'aucuns pourraient en pâtir.
- Arph ! s'esclaffa Selena. Tu rêves. Je sais déjà comment ça va se passer. (Elle se lança dans une imitation très convaincante de notre prof) Maëlle Dulac, arrêtez de jouer avec votre styloooo ! Iiiimmédiatement !
- Hé ! m'insurgeai-je. Je ne joue PAS avec mon stylo. Je le mordille, c'est tout.
- On se demande à quelle image mentale tu as recours alors.
- OOH ! Lena, tu es dégeu.
- Ha-ha. Je rigole, Babe.

N'allez pas imaginer que, parce que deux âmes sont reliées par un lien indestructible, elles sont polies et se baladent avec une auréole au-dessus de la tête et des ailes dans le dos. Si nous prenions notre exemple, nous étions parfaitement impolies, obsédées et en grand manque de sagesse.
Comme quoi, la notion d'âmes soeurs serait à revoir, vous ne croyez pas ?
Je laissai échapper ma cuiller en rangeant mon plateau dans un des compartiments ad hoc.

- Eh merde !

Comme pour confirmer ce que je viens de vous dire, quoi.
Une des dames de la cantine se pencha gentiment pour la ramasser ; je la gratifiai d'un sourire reconnaissant.

- Merci.
- De rien, ma petite.

Là, par contre, je me montrai polie. Je n'étais impolie qu'avec mes copains, en fait. Étrange, non ? Enfin, il faut bien qu'il subsiste encore quelques bizarreries dans le comportement des ados pour que les scientifiques s'échinent dessus. Sinon, ce ne serait plus drôle.
Nous montâmes en cours. Alors que nous grimpions l'escalier du deuxième étage (notre cours était au quatrième), le portable de Lena se mit à vibrer.

- Encore un de tes admirateurs, Selena ? musai-je en la regardant de biais.
- Idiote, me rabroua-t-elle en l'extirpant de sa poche. D'ailleurs, à ce propos, il faudra que tu me parles de Matthieu.
- C'est toi, l'imbécile. Tu sais bien qu'il n'y a rien entre lui et moi. Enfin, si. « Et ». (Elle ne rigola pas à ma blague nulle. Je marquai une pause. Je soupirai.) Allez, regarde ton message, qu'on puisse allez en cours ! Je ne me suis pas magnée de finir de déjeuner pour rien.

Elle émit un petit rire narquois et poussa le bouton de lecture du SMS.
Son visage se ferma, puis passa de son habituel teint rose clair à un vert soutenu.
Ses traits, enfin, semblèrent se décomposer seconde après seconde.
Je claquai des doigts devant ses yeux qui s'étaient fixés sur un point vague, au loin, bien au-delà de moi.

- Eh ! Selena ? Nana, on va être en retard, ça ne va pas ?!

Son regard restait fixe, vague, lointain. Je pris peur et envisageai un instant de la gifler, sachant cependant que malgré cela je doutais qu'elle réagît.
Soudain ses traits prirent enfin une expression, et même si c'était celle d'une douleur et d'une tristesse quasi-insoutenables à regarder, c'était une expression tout de même.

- J'ai oublié quelque chose dans mon casier... Monte, je te rejoins.
- Je peux venir avec toi si tu...

Je ne finis pas ma phrase, secouai la tête de gauche à droite en signe de résignation et la laissai redescendre seule la volée de marche la séparant de l'étage inférieur, puis la suivante, et celle d'après encore. J'avais failli oublier la règle d'or unissant les âmes soeurs : ne jamais tenter de dévier l'autre de ses objectifs, de ses désirs, de ses choix. Toujours soutenir l'autre, respecter ses décisions. Quoi qu'on en pense. Quoi qu'il arrive.
Aussi montai-je en cours seule, sans tenter de repousser l'angoisse qui faisait battre mon coeur plus vite que la normale. Qu'avait donc Lena ? Qu'avait-elle dit... fait... qui eut pu lui rapporter des ennuis la mettant dans un tel état ? Et surtout... n'allait-elle pas faire de bêtises, maintenant que je l'avais laissée seule ?
« Ça ne te sert à rien de t'angoisser comme ça », me morigénai-je alors que la prof venait de me rappeler à l'ordre pour la troisième fois. « Si tu avais été avec elle, tu n'aurais rien pu... tu n'aurais rien dû faire pour l'empêcher à quoi que ce soit ».

Vous trouvez peut-être ces mesures extrémistes, mais c'était notre politique, notre doctrine, notre croyance, notre credo, tout cela à la fois – mieux : c'était la même chose. Être libres, libres par-dessus tout, au moins avec une personne dans ce monde de règles et de codes, de punitions et d'entraves. Savoir que l'on pouvait tout dire à l'autre sans que cette personne entrave vos choix était d'un réconfort proche de la bouée de sauvetage.

Mais maintenant, une pensée s'insinuait dangereusement dans mon esprit. Il aurait été si simple de se laisser porter par le groupe, de laisser les gens choisir à notre place, de ne jamais se poser de questions. Il aurait été si simple de ne pas chercher à savoir ce que le garçon avec qui vous sortez fait lorsqu'il vous dit qu'il sèche le lycée. Ou qu'il est parti en week-end. Avec ses parents. Si simple d'arracher son petit lambeau de bonheur à la carcasse de la vie tout en fermant les yeux sur les mauvaises choses. Si simple, tout simplement, d'aimer vivre. De ne pas chercher les défaillances et les erreurs de celui qui à conçu l'homme pour, comme d'habitude, avoir le dernier mot, quitte à se faire souffrir soi-même. Si simple, pour une fois, de ne pas être masochiste. Si simple de se détourner du chemin que moi et mon amie nous étions efforcées de tracer d'une marque indélébile, ce chemin dont nous étions si fières.

Qui donc sur cette terre n'avait pas rêvé de passer bien tranquillement son Bac, avec la moyenne, sans mention, sans chercher à se démarquer ni à se sortir du lot, même si on en a les capacités – simplement pour faire comme tous les autres ? N'avais-je pas le droit de le faire ? Ensuite, de me trouver un bon boulot de caissière à Leclerc, qui ne gagne rien, au final, qui permette de réussir sa vie, mais vu que les autres se plantent aussi, à quoi bon chercher à faire mieux, pour vivre heureux, vivons cachés. Enfin, arriver chez moi le visage rayonnant, pousser la porte de la grande et belle maison qui serait la mienne et voir l'homme de ma vie, nonchalamment adossé au mur de l'entrée, m'attendant ; le même homme qui, avec son petit sourire exaspérant qui me ferait rêver, me serrerait dans ses bras et me plaquerai violemment contre le mur en m'embrassant furieusement, de la manière que j'aurais aimé. Qui me ferait l'amour exactement comme je le souhaite, parce que sans te poser de question je lui aurais confié tous mes fantasmes. Parce que le plaisir suprême, ce serait de ne lui avoir jamais rien dit.
Qui n'a jamais rêvé de dîner au restaurant, de voyager en Première Classe, d'aller au concert ?
De céder à la facilité et de laisser maître de nos vie le Destin, et les trois Parques nous guider à pas lents vers la mort sans que nous nous en rendions compte ?

La cloche sonna. Mes pensées avaient tellement dérivé que je ne me remémorai plus leur point de départ. Ah, si ! Selena. Il fallait que je la retrouve, parce que quoi que je pense en-dehors de nos échanges, quoi que je pense secrètement, elle était mon âme-soeur et je devais endosser mon rôle jusqu'à la fin.

Complètement obnubilée par mes pensées, je me heurtai de plein fouet à un autre lycéen.

- Ouille, désolée, marmonnai-je sans faire attention à qui c'était.
- Voyons, Maëlle, on regarde devant soi quand on marche, se moqua Matthieu – je levai brusquement la tête pour le reconnaître, et une longue coulée de sueur froide glissa dans mon dos.

Ce n'était pas le moment. Ce n'était que l'intercours, je devais retrouver Selena et, si j'arrivais en retard en cours, je me ferais coller. Mais lui, bien sûr, il s'en fichait. Vu sa réputation dans le lycée, il ne devait pas en être à sa première – colle – et certainement pas à sa dernière.

- C'est ça, crachai-je avec un mépris que je n'avais jusqu'alors jamais vraiment éprouvé pour lui. Dégage.

Son expression changea du tout au tout et ses traits qui lui donnaient constamment l'air de se moquer du monde se durcirent. Je frémis, prenant conscience d'être allée trop loin alors qu'il était plus âgé que moi de deux ans, qu'il avait une mimique féroce et que nous étions seuls dans ce coin du lycée.
Il s'avança vers moi, je reculai et finis par toucher le mur de mon dos.
Ses yeux avaient quelque chose de brûlant, d'irrésistible, d'attirant. J'avais l'impression que j'allais étouffer sous le feu de ses yeux, et je me mis à lutter pour ne pas m'enfuir en courant alors que je n'avais plus qu'une envie : qu'il m'embrasse comme j'en avais envie, avec une dureté et une passion sans égales.

Il saisit mon visage entre ses mains, sans douceur aucune. Je résistai à l'envie de tendre mon visage vers lui, d'effleurer ses lèvres des miennes. Sans succès. J'écartai vivement mon visage du sien, plus incrédule que honteuse ; je ne crus pas tout de suite à ce que j'avais fait. Non, pas lui. Pas quelqu'un comme lui. Ça ne se pouvait pas, c'était contre nature, tout en moi me criait d'arrêter. Mais je n'en avais pas envie, pas envie d'envisager autre chose que le contact de ses paumes sur mes tempes.
Ses yeux semblèrent rire de mon émoi – ils me fixèrent avec un air de « je le savais » moqueur et triomphant. Une nouvelle bouffée de profond mépris me prit à la gorge. Et pourtant, il m'attirait... je me rendis compte que je haïssais d'amour. J'en avais déjà entendu parler, je trouvais ça complètement ridicule. Mais c'était si bon que l'amour simple et tendre me paraissait en comparaison bien fade et dépourvu de tout intérêt.

Ses lèvres fondirent sur les miennes sans que je m'y attende. C'en était déconcertant. Je ne sais combien de temps dura notre étreinte, peut être quelques secondes, peut-être plusieurs minutes, aucune idée. Parcourue de frissons, j'aurais tout donné pour que rien ne s'arrête et pourtant, étourdie et chancelante, je le repoussai, tout mon corps hurlant déjà de frustration.
J'avais envie de lui crier que ce n'était pas possible, pas lui, pas moi, non, que rien de tout cela n'était prévu, ce n'était pas normal, et Selena dans tout ça... ? mais ma bouche lui appartenait encore et refusait de m'obéir.

- Faut que j'y aille, bredouillai-je. Je... oui.

Renonçant à lui expliquer la nécessité de retrouver Lena – de toute manière il s'en serait fichu – je m'écartai prudemment en tentant de me rappeler comment on faisait pour respirer et mieux, comment on arrivait à marcher avec seulement deux jambes. Un grand creux dans ma poitrine, comme un trou créé par un quelconque manque, me fit vaciller alors que je m'élançais dans le couloir, en direction de la cour, sans me retourner mais sentant encore son regard de braise posé sur moi.
Refusant de penser à quoique ce soit d'autre qu'à ma meilleure amie, je détaillai chaque recoin de la cour du bahut, il restait encore quelques lycéens à traîner, qui séchaient ou qui se reposaient entre deux cours, mais personne qui ressemblât à Lena.
Je filai à l'infirmerie, soupçonneuse.

- Salut, Angie, lançai-je à la jeune infirmière. Tu aurais vu passer Lena ?
- Ah, oui... elle n'avait pas l'air bien. Je l'ai renvoyée chez elle. Tu veux passer un coup de fil ? Je te ferai rentrer en classe plus tard. Je sais combien tu tiens à elle.
- Merci, Ang', murmurai-je, à la fois touchée par son attention, inquiète pour Lena et déboussolée par ce qui s'était passé entre Matthieu et moi.
- De rien, chantonna-t-elle en retournant à son inventaire de boîtes de Doliprane et de pansements.

Je décrochai, composai le numéro que je connaissais par coeur pour l'avoir composé tant de fois. 05... 49... 23...

Elle décrocha à la seconde sonnerie. Elle devait être assise à l'ordinateur.

- Ah, lâcha-t-elle, l'air embarrassé et agacé. C'est toi. Tout va bien, je ne suis pas... morte.
- Mais quand même, t'avais pas l'air bien...
- Maëlle !!

Elle avait l'air très énervée, voire contrariée.

- C'est quoi, notre règle, déjà ?
- Ne jamais interférer dans les décisions de l'autre, récitai-je, voyant très bien où elle voulait en venir. D'accord, je ne te demanderai pas de revenir en cours si tu n'es pas malade. Mais sache que je suis consciente que tu n'étais pas malade. Je ne chercherai pas la raison pour laquelle tu agis comme ça. Mais ça me blesse que tu ne me le dise pas. C'est tout.
- Oh... Maé... si je pouvais...

Sa voix se brisa, et je l'entendis étouffer un sanglot. Je ne voulais pas qu'elle soit malheureuse, pas le moins du monde.

- Laisse tomber, lui dis-je, confiante. Je ne veux pas que tu souffres. Désolée d'avoir été un peu brusque. Excuse-moi.
- Merci, Maé. Tu es une vraie amie. (Une pause) La meilleure.
- Aller, remets-toi bien. Je te vois bientôt.
- Maé...
- Oui ?
- Je veux que tu sache que je le pensais. Lorsque je t'ai dis que nous étions les meilleures amies. Que je t'aimais. Que nous étions des âmes soeurs. Tout ça.
- Selena... Lena, je le sais, chuchotai-je, émue. Je ne suis pas en droit de te forcer.

Je l'entendis rire un peu, ça me fit du bien et je me décontractai, me rendant compte que depuis le début de la conversation, je serrai le combiné à m'en faire blanchir les jointures.

- Je le savais. Tu... Je t'adore. Je suppose que, un jour ou l'autre, tu sauras.
- Je m'en fiche, je te l'ai dit ! dis-je d'un ton sincère – ce qui était facile, vu que je disais la pure vérité.
- Quand même. On ne doit rien se cacher.
- Bon... dis-je, et mon sourire revigoré transparaissait dans ma voix. Alors, à plus tard.

J'aurais voulu lui demander quand elle comptait réintégrer le lycée, si ce serait demain, ou après... mais j'eus peur de la braquer davantage.

- Nous savons tout ce qui vaut la peine d'être su sur l'autre. Et ça n'en fait sans doute pas partie.

Elle toussota.

- Maé ? Méfie-toi de Matthieu.

Je m'étranglai. « Tout ce qui vaut la peine d'être su » ? Je m'étais peut-être mis le doigt dans l'oeil. Comment pouvait elle être au courant de ce qui s'était passé à peine dix minutes auparavant ?

- Pourquoi dis-tu ça ? me récriai-je, trop agressive à mon goût.

Elle eut un petit soupir triste – oui, triste.

- Fais moi confiance, pitié. (elle marqua un arrêt, puis repris d'une voix plus ferme) Tu es quelqu'un de bien, Maé.

Et elle raccrocha sur ces paroles sibyllines.
J'étais estomaquée. Mais pas surprise. Matthieu n'était pas quelqu'un de bien, ou, à défaut, quelqu'un pour moi.
Les derniers mots de Selena m'avaient glacé les sangs, mais ce n'était rien comparé à la douleur et la tristesse âcre qui empreignait sa voix. La panique me pétrifia un instant. Angie me regarda, et un voile inquiet passa sur son beau visage.

- Tout va bien, Maé ?
- Oui, oui... J'irai voir Selena en sortant des cours.

L'après-midi passa plus lentement que jamais. J'avais envie de courir loin du lycée pour me réfugier chez Lena, voir si elle allait bien. J'aurais donné tout pour que ce pacte stupide entre nous n'existât plus, que je puisse sans me faire de soucis d'étique la forcer à me révéler ce qui la tracassait – et le mot est faible. Mais je ne pouvais plus me sortir de cet engrenage de loyauté : si j'étais l'amie de Lena, mon devoir était de l'aider. Mais si je trahissait notre pacte d'âmes-soeurs, ce serait l'égal d'une trahison, je ne me comporterai pas non plus comme une amie.
Je passais tant de temps à ruminer ce paradoxe que je ne prêtai pas attention aux frissons qui me démangeaient dès que je quittais une salle pour en gagner une autre, ne aux coups d'oeil furtifs que je jetai au détour de chaque couloir. Je cherchais Matthieu, mais ma tête n'étais pas aux batifolages inconscients – d'ailleurs, Selena, pour une mystérieuse raison, ne m'avait-elle pas mise en garde contre lui ?
Par chance, je ne le revis pas, et dès que la cloche sonna je me ruai vers la sortie, oubliant la moitié de mes affaires dans mon casier – c'était une broutille.

Arrivant devant le portail laissé ouvert de sa maison, je n'appuyai pas sur la sonnette, entrai. Je n'appelai pas Selena par son prénom – ce n'était pas la coutume.
Je poussai la porte d'entrée sans bruit. De toute évidence, Lena n'était pas dans sa chambre, ni même dans la maison : la porte donnant sur le jardin était entrebâillée.
Je sortis. Et je la vis. Elle se tenait, debout et droite, sur l'espèce de colline miniature qui dominait son jardin. Nous nous amusions souvent à grimper là-haut, petites, mais nos parents nous grondaient alors, parce que c'était trop haut et trop dangereux. Elle avait les yeux fermés, et je pressentis le pire. Lorsque ton âme-soeur est prête à te quitter définitivement, tu le sens, c'est indéniable et inéluctable, c'est comme ça. Tu sens comme un grand creux dans ta poitrine, une déchirure, un manque mais pas comme de l'envie, non, plutôt comme du désespoir, un morceau de vide, un grand trou béant aux bords suppurants.
Ça donne envie de hurler et de vomir, de souffrir et de se taire.

Elle s'avança, princesse digne d'un royaume que j'avais partagé avec elle sans en comprendre pleinement le sens. Un royaume de folie, où les convictions sont plus fortes que tout. Où l'on se croit le plus fort, le maître du monde. Où l'on refuse de dire oui. Où l'on refuse de grandir.
Elle ne s'était pas rendue compte de ma présence. Je sus qu'elle allait sauter avant même quelle fasse son dernier pas.

- SELENA ! hurlai-je, ayant déjà renoncé à ma clause du contrat.

Mais il était trop tard, je le savais. Surprise, elle battit des mains alors qu'elle s'élançait dans le vide. Déséquilibrée, elle bascula et je vis, impuissante, son corps s'écraser au sol comme une poupée de chiffon.

***

- Elle est réveillée ? Madame, vous avez des nouvelles d'elle ? Est-ce qu'elle va bien ?

L'infirmière, majestueuse messagère de l'horreur, me lança un regard dénué de tout.

- Elle est consciente depuis quelques heures. Mais je doute que...
- Je peux aller la voir ? demandai-je – suppliai-je – en désignant la porte de la chambre 57 du doigt.
- Oui, dit la jeune femme rousse. Mais, continua-t-elle en plissant son petit nez recouvert de taches brunes, je ne pense pas que...

J'avais sa permission, ce qui me suffit amplement.
Je me retint avec ce qui me restait de politesse de la bousculer, contournai prudemment et entrai en frappant discrètement à la porte. Je bouillais depuis des heures de pouvoir parler et toucher mon amie, mais mes parents ne s'étaient enfin décidés à me laisser voir ma moitié que des heures après son transport à l'hôpital. Je ne savais pas précisément ce qu'elle avait, mais les médecins avaient laissé entendre que le fait qu'elle soit consciente et parlât tenait du miracle.
J'entrai. La pièce me fit déglutir de travers, ce n'était pas ce à quoi je m'attendais, je n'étais venue qu'une fois à l'hôpital pour me faire opérer des amygdales et j'étais trop petite pour m'en souvenir. Les murs étaient d'un blanc immaculé, les rideaux bleu clair, et tout était calqué sur ces tons. Je fis rapidement un tour sur moi-même : tout était blanc et bleu, de quoi devenir allergique.
Finissant mon petit tour de la pièce, je me retrouvai face à un lit. C'était étrange.
Mon amie avait redressé la tête en entendant la porte s'ouvrir ; son cou était soutenu par trois oreillers, ses bras reposaient,comme moulus, de chaque côté de son corps. Sa respiration était saccadée, un électrocardiogramme bipait non loin de son visage suturé. Une perfusion était plantée dans son bras, et de grosses perles de sang flou se baladaient dans le gros tuyau. Une de ses jambes était maintenue en l'air par une sorte de poulie, ça me fit froid dans le dos. Pour la première fois, j'eus vraiment peur. Je fis quelques pas vers elle. Son regard me statufia à quelques pas d'elle : il était froid, dur comme la glace, alors qu'habituellement ses yeux couleur chocolat pétillaient de joie et d'affront mutin. Elle me fixait avec la vivacité d'une pierre, d'un regard mort et terne – vide de toute amitié, de toute envie de vivre. Ce qui me frappa surtout, c'est qu'elle était laide. Hideuse. Comme elle était mon amie, je m'étais efforcée de ne jamais porter de jugement sur son apparence physique, mais elle avait toujours été plutôt jolie, avec ses yeux bruns et ses longues mèches torsadées. Son rire cristallin. Sa bouche en forme de coeur, ses plaisanteries grivoises, sa malice, son envie de dire « non » à tout, de s'imposer, de ne rien se faire refuser, son envie de persuader, mais aussi de ne pas en faire trop, son don à se faire discrète, à se faire oublier, à se faire désirer.
Tout ce qui faisait d'elle une amie fidèle et unique, un joyau inestimable que je chérissais comme mon âme – puisqu'elle en était une moitié indissociable.... tout cela avait disparu, pour laisser place à un grand trou, un grand vide.
Je savais instinctivement pourquoi. C'était à cause de la veille, cette veille ensoleillée où elle avait cru faire son dernier saut. A ce moment-là elle avait été trop belle, si belle qu'elle avait épuisé ses réserves de charme et de beauté. Jamais je n'avais vu pareille grâce, pareille liberté, une envie si profonde de défier jusqu'à son attache à la vie l'avait rendue rayonnante. Elle avait volé comme un ange, elle en avait eu la magnificence, ne serait-ce qu'un seul instant. Je fermai les yeux, la regardant encore une fois dans mon esprit se laisser choir au sol, les yeux non pas plissés de panique mais grand ouverts, luisant de curiosité et de plaisir.

Je rouvris les paupières ; elle était là, en face de moi, plus moche que jamais.
Je ne savais trop comment commencer. J'envisageai de m'asseoir sur le lit. Mais dès que j'esquissai un mouvement trahissant mes intentions, elle me fusilla du regard et je me laissai tomber dans la chaise en face d'elle.

- Comment... vas-tu ? finis-je par demander.
- Bien.

Sa voix n'était pas la sienne. Sèche, froide. Inhumaine. Si la veille elle avait parue angélique et éblouissante de jeunesse, elle paraissait aussi chenue et fripée qu'une vieille page malmenée d'un manuscrit centenaire.

- Trop bien. C'est d'ailleurs grâce à toi, Maëlle. Je t'en suis infiniment reconnaissante, comme tu peux le voir, continua-t-elle avec un cynisme morbide en laissant échapper un petit rire sans joie.
- Tu n'as pas l'air trop mal en point, esquivai-je, mortifiée par son ton cinglant.
- Tu mens très mal. Ne crois-tu pas que j'ai voulu me voir dans un miroir lorsque je suis sortie du brouillard complet ? Je n'ai jamais autant ressemblé à un débris. A une épave.

Je soupirai et décidai de couper dans le vif. Ça serait moins douloureux pour nous deux.

- Tu m'en veux.
- Oui, dit-elle avec rage, mais avec une simplicité dont je lui fus reconnaissante : elle avait été claire.
- Pourquoi ?
- Pourquoi ? répéta-t-elle, lâchant de nouveau un rire plat. Et tu me demandes pourquoi...? Quel était notre pacte, Maëlle ? Tu n'aurais pas du intervenir, c'était mon choix !

Sa voix dérailla sur ses derniers mots, et je compris alors que quoi que j'aie fait, c'était le simple sentiment d'être retenue par une attache, un fil presque impossible à couper la rattache à quelque chose qui l'avait tant gêné. Le simple fait qu'une force supérieure à la sienne, et de loin, puisse la forcer à rester en vie. Le simple fait de vivre lui était insupportable. Une vague nausée agita mon bas-ventre mais je ravalai ma bile, et puisai dans la pâleur de ses pommettes affaissées, le galbe brisé de ses joues la force de relever la tête et d'affronter ses prunelles tueuses.

- C'étaient des gamineries.
- QUOI ?

Sa voix était devenu un long sifflement, proche du cri. La rage en ses yeux devint douleur.

- Tu veux dire que tu n'y as jamais cru ? Aurais-tu la mauvaise foi de le prétendre ?
- Non, la coupai-je. Des enfantillages, des propos de crise d'adolescence. La simple envie de dire « non » à tout, pour se prouver qu'on est quelqu'un, pour prouver aux autres qu'ils n'ont aucun droit sur nous.
- Tu es une traîtresse. Moi, j'y croyais. Tu avais dit... nous nous étions dit que nous étions des âmes-soeurs !
- Des âmes-soeurs extrémistes, nonobstant, la corrigeai-je en tentant de gommer toute animosité dans ma voix. Nous n'étions pas obligées d'en arriver à des mesures aussi drastiques. Quand on dit oui, on accepte les contraintes, on prouve qu'on en vaut la peine, on prouve qu'on est capable d'assumer... on prouve qu'on est adulte. Tu dis non, tu refuses de grandir. S'il te plaît, revois ta vision des choses... je n'ai pas voulu te perdre. Selena... ouvre les yeux !
- NE ME DONNES PAS D'ORDRES ! beugla Lena, ses yeux papillotant sous l'effet de la fureur. Tu ne sais même plus ce que tu dis. Nous étions sûres de nous, Maé. Qu'est-ce qui a bien pu te faire changer d'avis ?
- Je ne sais pas.

J'avais été honnête. Je ne savais pas. Nonobstant l'image de Matthieu s'imposa à mes yeux avec une telle violence que je basculai légèrement vers l'avant. Le souvenir de la caresse de ses lèvres sur les miennes, de sa main dans mes cheveux, de sa paume au creux de mes reins, tout cela me surprit tant que je ne parvint que de justesse à maintenir les barrières qui m'empêchaient de basculer dans le fantasme, et à me concentrer sur la dramatique situation présente.
C'était lui qui m'avait ouvert les yeux, et je n'avais pas dit non. J'attendais cela pour grandir, pour comprendre qu'on ne pouvait pas toujours tout refuser. J'avais attendu si longtemps que j'avais dit non avec un grand sourire provoquant jusqu'à cet instant ou j'avais compris qu'il me faudrait assumer et payer le prix des erreurs pour avancer tête haute.
Payer le prix de s'être laissé faire, de ne pas avoir tourné les talons tout simplement dès que je l'avais vu approcher, d'avoir soutenu son regard. Je me rendis compte seulement à cet instant que fuir malgré l'envie n'aurait pas été l'attitude adéquate. Se réfréner ne sert à rien ; la seule chose utile est d'assumer.

- Si ; je sais... murmurai-je en aparté, lui lançant un regard fuyant.
- Non, tu ne sais pas ! s'écria-t-elle, s'agitant dans son lit. Tu ne sais rien !
- Ne t'agite pas comme ça... tu vas te faire mal, m'enquis-je, fixant avec dégoût la perfusion et sa jambe plâtrée surélevée.
- Ah, ça... dit-elle, énigmatique, ayant intercepté mon regard. Une jambe cassée en plusieurs endroits, et un nombre impossible à retenir de côtes cassées... Il paraît que je suis une miraculée.(elle ajouta avec un dégoût dédaigneux :) Il faut croire que je dépends tant que cela du Destin. Les Parques jouent des mauvais tours aux fils les plus sombres de leur tapisserie.
- Lena...
- Je crève de douleur, tu ne le vois pas, mais c'est insupportable ! Tu es fière de toi, n'est-ce-pas ? Sans tes idioties, je ne sentirais plus rien. Tu es là comme une conne, à me fixer de tes grands yeux tout fraîchement responsables, alors que...
- Les didascalies manquent, répliquai-je d'un ton sec. Explique moi donc, si tu en es capable, pourquoi tu as si stupidement voulu passer de l'autre côté alors que tu n'as encore rien vécu dans la vie qui vaille la peine.
- Arph ! s'étrangla-t-elle. Tu t'entendrais ! Rien qui vaille la peine d'être vécu... qu'en sais-tu ? Tu en es au même point que moi !
- Tu as voulu mourir, Lena ! Cela ne veut donc rien dire pour toi ?! Comment as-tu pu...
- Parce que je le voulais, c'est tout ! J'avais bien le droit de m'offrir une dernière folie, pouvoir planer au-dessus de tout une seule et dernière fois.
- Last but not least, tempérai-je, amère. Tu aurais du parler. Je croyais qu'on se disait tout.
Jamais tu ne m'aurais forcée à parler ! beugla-t-elle. Jamais.
On aurait pu t'aider.
- M'aider ?!

Je sus que j'étais allée trop loin pour elle, et qu'elle n'aurait pu en supporter davantage.
J'avais passé le point de non-retour.

- Personne n'aurai pu m'aider sans que je le veuille, et tu le sais.
- Qu'y avait-il donc sur cet SMS ? demandai-je, sentant mes chances de connaître le fin mot de l'histoire fondre comme neige au soleil.
- On m'a abusée. Un garçon. Ce garçon. Je t'ai dit de te méfier de lui.
- Matthieu ?! m'écriai-je, ébahie.

Horrifiée, je compris. « Tu es sortie avec lui ?
- Vaguement. Mais ce n'est pas l'important ! me morigéna-t-elle. Jamais je n'aurais du. Il m'a dupée, s'est servi de moi. Il...

Je ne demandais rien d'autre en matière d'explication. Pitié, qu'elle cesse de parler de lui... Qu'elle cesse de me rappeler qu'elle le connaissait mieux que moi. Qu'elle avait passé du temps avec lui. Qu'elle aussi, avait posé ses lèvres sur les siennes. Peut-être plus, qui sait, oh non, pas ça, tout sauf ça, ça faisait trop mal d'imaginer qu'ils avaient pu... D'imaginer lui avec elle, tout simplement, c'était trop douloureux, une brûlure au creux du ventre, un essaim d'abeilles dans le coeur, l'envie de frapper tout ce qui se trouvait à ma portée. Le fait que Matthieu eut tenu dans ses bras une autre fille que moi, malgré la petitesse ridicule de nos instants ensemble, me remplissait de rage et de désespoir. Je sentis la jalousie monter en moi comme un tsunami répugnant, et je tentai de l'ignorer.

- Je n'ai pas envie de savoir ce qu'il t'a fait, dis-je avec froideur. C'est le présent qui compte, non le passé.
- Comment ?! s'insurgea-t-elle. Tu le défend ?
- Oui.

J'avais énoncé mon assertion avec un regret et un chagrin nettement audibles. Je regrettais de l'aimer de cet amour fou et brusque autant qu'incroyable par la vitesse à laquelle cette passion était née. Je regrettais d'être jalouse d'un souvenir se rapportant à l'ébauche d'amie que j'avais devant les yeux, bien loin de la pétillante Selena que j'avais toujours connue.

- Oh non... pas toi aussi. Pitié ! Pas toi !
- Si. Je suis sincèrement désolée. Mais tu peux... tu dois comprendre ce que je ressens.
- Je ne veux pas comprendre, asséna-t-elle avec violence.
- C'est bien la preuve que tu es encore une enfant. Tu refuses les concessions. Si seulement tu essayais...
- Je t'avais dit...
- Et je n'ai pas voulu t'écouter, j'en avais le droit, la coupai-je avec mauvaise foi.
- Oh, ça suffit, Maëlle. Soit tu es d'accord avec moi, soit tu ne l'es pas. Tu ne peux pas jouer sur les deux tableaux. Choisis.

Je sifflai entre mes dents mon mécontentement. Elle eut un petit sourire mauvais.

- Il a voulu que je...
- Non ! me défendis-je. Je ne veux pas t'écouter.
- Il a tenté de me forcer à...
- NON ! hurlai-je. Arrête !
- Et il m'a larguée, j'ai été la risée de ses amis, il a des photos de...
- STOP !

Je la regardai, dégoûtée. Quelque chose entre nous s'était brisé. Définitivement.
Elle eut un mouvement répétitif qui attira mon regard : elle jouait nerveusement avec perfusion, j'eus peur qu'elle la retire d'un coup sec, une nausée agrippa mon estomac et sembla batailler avec lui pour le retourner.

- Arrête, tu vas finir par l'enlever, dis-je avec douceur.
- Tu ne comprends vraiment rien, gronda-t-elle en s'acharnant sur l'aiguille avec encore davantage d'ardeur.

Elle me fixa d'un regard pénétrant – au moins dans ses yeux y avait-il quelque chose, une lueur, une sorte de résolution.

- Va-t-en, Maëlle ! Tu m'as déçue.

Ses mots me découpèrent le coeur comme un couteau. Je me levai comme une automate.

- Je ne veux plus te revoir, ajouta-t-elle comme si je n'avais pas compris.
- C'est aux hommes de croire aux idées et de mourir pour elles ! citai-je, au comble du désespoir.
- N'ai-je pas assez pleuré d'être une fille ! s'exclama-t-elle, donnant la réplique avec passion. Tu ne vois donc pas que je ne suis pas heureuse ? Si tu avais vraiment été mon amie, tu m'aurais laissée faire.
- Une amie aurait-elle laissé son âme-soeur (j'insistai avec une détermination tragique sur ces deux mots) procéder sous ses yeux à la dernière et la pire erreur de sa vie ?
- Ce que tu dis est le pire crime d'égocentrisme et d'égoïsme que j'ai jamais pu concevoir, cracha-t-elle avec mépris. Tu voulais garder tout ton petit monde intact autour de toi, parce que ça, oui, ça fait mal de perdre quelqu'un quand on a envie d'en profiter pour toujours ! Juste envie d'en profiter ! Ah çà ! Mais moi, si j'avais envie de partir, ça non, ça n'avait pas d'importance ! Hein ? Réponds !

Abasourdie, je regardai ses lèvres sèches et fripées bouger en formant des sons, des mots, des phrases que je n'arrivais pas à assimiler. Tout au fond de moi, au-delà du paradoxe qui nous diviserait à jamais, une petite voix proférait des paroles de reproche : j'aurais du, par amitié, par amour pour elle, la laisser... Elle était libre, elle n'avait jamais eu besoin de mon autorisation...

- Tu te souviens, Lena... commençai-je, d'une voix d'une indicible tristesse que je n'essayai même pas de dissimuler. Tu te rappelle ce cours de Maths, il n'y a pas si longtemps... Il y a, dans notre salle de classe, un poster avec des figures géométriques paradoxes oranges, en trois dimensions...

Son regard se brouilla, ses yeux se baissèrent et à leurs coins je vis perler des larmes. Je sus qu'elle se représentait très clairement la scène, et que ce souvenir la remplissait de chagrin.
Je continuai.

- Le cours n'était absolument pas intéressant... et la prof était malade, elle avait une crève du diable (j'émis un petit gloussement à cette pensée, puis l'écrasant poids de la réalité reprit sa place dans la balance et je cessai aussitôt de rire.) et on cherchait le moyen de démêler les paradoxes représentés. Tu disais qu'il fallait partir d'un certain point, et moi de l'autre, et on s'était légèrement disputées (elle renifla). Puis, quelques minutes avant la fin du cours, on s'était retrouvées prises d'un fou rire terrible, parce que finalement, on pouvait prendre la figure dans le sens qu'on voulait, ça n'avait strictement aucune importance... On s'en foutait royalement.

Je glissai ma main dans la sienne, je la sentis se raidir mais je resserrai ses phalanges glacées dans l'étau de mes doigts, dans une tentative de dissuasion de tout retrait particulièrement convainquante.

- J'aimerai que tout cela soit réglé aussi facilement, oh oui, comme j'aimerai...
- J'aurai aimé aussi, tu sais, chuchota-t-elle faiblement.

Je tiquai à son emploi résolu du passé.

- Pourquoi n'es-tu donc pas heureuse de vivre, tout simplement, Selena ? Ne me fais pas croire que c'est à cause de Matthieu, tu m'as toi-même dit que tu ne l'aimais (je grimaçai, et je transformai ma grimace en rictus pour ne pas me trahir) pas vraiment beaucoup. Tu as tout ce qu'une fille peut rêver... Des parents qui t'aiment, de l'argent pour vivre bien, tu es gentille, tu es belle, tu es intelligente... Pourtant ça se lit dans tes yeux, dans ta façon de vivre, d'exister, tu n'en as pas envie, tu es gênée, contrainte... explique-moi, ça peut s'arranger.
- Je... ne crois pas pouvoir expliquer, avoua-t-elle avec un pauvre sourire – un vrai sourire cependant. Jamais je ne me suis sentie à mon aise avec vos règles, vos contraintes, vos sourires faux et vos rires forcés, cette société décadente où chacun doit battre son voisin et lui faire du mal pour y gagner sa place. Je ne veux faire de mal à personne. Je ne fonctionne pas ainsi, c'est tout.
- Pense à tes parents... eux, tu les ferais souffrir.
- Crois-tu que je n'y ai pas longtemps songé ? Ça ne sert à rien de me faire la morale, Maé, tu sais parfaitement que tu ne parviendras pas à me convaincre, asséna-t-elle avec un soupir. Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire "non" encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge.
- Tu pourrais arrêter d'être aussi théâtrale, suggérai-je en risquant un ton amusé.

Elle me jeta un regard de biais.
« Tu parles de grandir, Maé, de mûrir, mais tu es coupée en deux, tu es partagée encore. Ça se voit, c'est tellement clair, même si toi tu ne t'en rends pas compte. Peut-être d'ailleurs suis-je la seule à le voir car je suis la seule à vraiment te connaître. Tu es encore à moitié gamine et pourtant à moitié adulte.
- Suis-je vraiment forcée de choisir ? demandai-je avec un pauvre sourire.
- Tu sais ce que j'ai choisi... La vie, en ce qui me concerne, mène à un cul de sac imminent et incessamment sous peu je me heurterai à ce mur de fond...
- Tu ne renonceras pas ! m'exclamai-je, horrifiée.

Un instant, j'avais eu l'idylle de réussir de la convaincre. Je m'étais visiblement mis le doigt dans l'oeil à une profondeur abyssale.

- Non.

Elle eut un regard qui en disait long – je tressaillis.

- J'ai choisi de rester enfant jusqu'au bout, mais toi, toi tu aimes la vie, et dans la vie il paraît que, normalement, il faut évoluer. Alors, oui, sois adulte, Maëlle, choisis d'être adulte et vis...

Je serrai fort sa main et elle l'étreignit en retour, avec une énergie désespérée que je ne lui connaissais pas. Puis elle relâcha ma paume, je récupérai mes doigts et elle recommença à s'acharner sur sa perfusion, sans me quitter des yeux toutefois.
D'un léger mouvement de tête, elle désigna la porte avec douceur, sa frange brune ondulant sur son front.
J'acquiesçai, me levai et marchai vers le carré bleu au milieu du mur uniformément blanc.
Soudain, submergée de remords et de chagrin, je me retournai et accourus au chevet de mon amie, et sans me préoccuper de sa douleur physique à mon étreinte me jetai sur elle.

- Ooh, Maé, murmura-t-elle en passant une main tremblante dans mes cheveux. Ma meilleure amie... celle à qui je tenais le plus... Mon âme soeur.

J'eus un pauvre sourire. Elle secoua la tête – elle redevenait belle.

- Il faut que tu partes. Je suis attendue dans un monde meilleur.

Je me dégageai, rongée de curiosité. Je pensais, quelques temps avant cet instant, lorsque je songeais à l'infinité de la mort, que le pire était de ne plus entendre ni voir personne, plus jamais. Mais désormais s'ajoutait à la liste de ces horreurs le fait de ne plus rien sentir.
Plus le contact de l'eau dans les cheveux, de la brise sur la peau en été, de la caresse du soleil estival lorsqu'on est allongé dans l'herbe grasse l'après-midi ; mais aussi la délicatesse d'une main sur mon front, le contact d'une paume sur ma joue, de doigts brûlants et avides sur ma nuque... Je fermai les yeux. J'avais tant envie de vivre que c'en était maladif, je la voulais entière, foudroyante, avec ses joies immenses et ses peines sans limites, car le plus beau cadeau qu'On aie fait à l'homme est de ressentir.
Le fait que Selena, qui avait toujours nié l'emprise de toute autorité sur elle, puisse s'en remettre à Dieu avec autant de confiance et de facilité m'apporta un imprévisible réconfort.

- Je ne te savais pas croyante, murmurai-je.
- Moi non plus, dit-elle en un sourire sincère. Moi non plus.
- Eh bien, en ce cas, nous serons deux, lançai-je abruptement.
- Ne t'en fais pas, Maé. Les âmes soeurs sont faites pour se chercher, se trouver, mais jamais se quitter, quoi qu'il arrive... Pour elles, tout est écrit.

Je me dégageai lentement et reculai vers la porte.

- Je t'attends, insista-t-elle. Mais, ajouta-t-elle avec gravité, prends ton temps. J'ai attendu si longtemps ce moment que je ne suis finalement pas pressée.
- Oui, répondis-je simplement.

Je fis résolument volte-face vers la porte, mais Selena m'apostropha une dernière fois :

- Maé...

Elle eut un demi-sourire, moitié amusé, moitié mélancolique, moitié sérieux et grave.

- Pas Matthieu et toi. Jamais. Jure-le.

Sans prêter attention à la déchirure s'ouvrant au plus profond de moi, je trouvai la force d'adresser un vrai sourire à Selena, mon plus réel, mon dernier sourire qui lui serait adressé après tant d'autres sourires gaspillés, dispersés, jetés à mon amie avec désinvolture dans notre passé commun, sans en comprendre le pouvoir et la valeur.

- Pas Matthieu. Et pas moi. Jamais. Je le jure.

Alors Selena se mit à resplendir de nouveau, comme la veille, comme avant lorsqu'elle était vraiment heureuse. Et je restai face à elle un instant pour imprimer à jamais la scène dans ma rétine, bien que trop éblouissante pour que ma mémoire puisse la restituer dans sa totalité la plus complète. Puis je franchis la porte d'un pas calme et confiant, bien qu'en moi un océan tumultueux de sentiments contradictoires menaçait d'engloutir sous ses flots la pauvre coquille de noix sur laquelle je voguais, sans me retourner.

Alors que je la refermai, les mots que Selena avait prononcés des jours auparavant et qui bien des fois avaient accaparé mes pensées remontèrent à la surface, occultant tout le reste, et le peu de réconfort et de confiance qu'avait pu réussir à m'inculquer mon amie disparut, évaporé.

« Le jour où il arrivera un accident, repense bien à ce que tu auras fait avant, et tu constatera, j'en suis certaine, que tu y auras quelque chose à voir ! Souviens-toi de ce que je te dis là... »

Un seul mot résonna à mes oreilles, vrillant mes tympans, hypnotique : responsable, responsable, responsable... Telle une litanie funèbre, le mot changea et continua à se répéter : égoïste, égoïste, égoïste... Puis enfin atteint son pic : traîtresse, traîtresse, traîtresse.

Dès que la porte de cet horrible bleu écoeurant se fut refermée sur moi, me cachant définitivement et pour toujours à mon amie, je m'affalai sur une chaise et m'étranglai avec mes larmes.

***

On dit souvent que pour atteindre le bonheur parfait, il faut trouver son âme-soeur, la personne faite pour vous qui pusse devenir votre soleil pour faire étinceler votre vie, la bonne étoile qui vous guide en vous indiquant le chemin.
Moi, j'avais déjà mon âme-soeur et c'était Selena.
Et je compris que ce n'était ni d'un soleil ni d'une étoile dont j'avais besoin – dont j'avais envie : pour survivre je voulais une super-nova qui grandisse, grandisse en moi et consumant tout sur son passage, réduisant les bonnes résolutions en cendres et dont l'envie grandissante de cette étoile moribonde me rendrait folle de désir et de frustration, folle de soif aussi, comme une addiction à la drogue, comme un besoin de respirer de l'air impur et souillé par son parfum enivrant.
Je désirais une super-nova qui prendrait tant de place qu'il me ferait souffrir, souffrir le martyr, et j'en demanderais encore, toujours plus. Toujours plus, jusqu'à ce qu'elle me consume entièrement, qu'elle explose alors dans ce feu d'artifice qui aurait été ma vie, brûlée, brûlante, à toute allure, trop rapide, inhumaine, incroyable, irréfléchie, déraisonnable. Tout le contraire de ce que j'avais toujours été, oui, c'était ce que je voulais, je le voulais par lui, avec lui ; je le voulais, lui et personne d'autre, parce qu'il était ce que j'avais toujours haï, ce que j'avais toujours méprisé au plus profond de moi. Parce que j'éprouvais le besoin de me sentir dominée par lui, par quelqu'un de plus fort que moi, et non pas par ces adolescents timides et hésitants avec qui j'avais toujours besoin de faire le premier pas ; je ne supportais plus cette attente, ce besoin de démonter par A + B audit garçon rougissant devant moi ce dont j'avais précisément envie. Je voulais être dépassée par les évènements, être prise dans la tornade sensitive de ses gestes dépourvus de toute tendresse, puis être surprise par celle-ci apparaissant soudain au détour d'une caresse sur ma peau frémissante.

Je ne voulais plus rien d'autre que cela. Rien d'autre que le feu qui dévore l'intérieur de mon coeur, la sensation de ses bras m'enserrant comme un étau insupportable, de ses lèvres mordant les miennes à m'en faire crier de douleur.

J'avais si longtemps attendu qu'elle vienne à moi, cette étoile sur le point d'imploser et de tout détruire, que je n'avais même pas envie d'attendre pour en profiter davantage, car je savais que je n'en aurais jamais assez, que je ne serais jamais repue, toujours en attente, toujours à jeter des regards furtifs dans la foule des élèves, aux fenêtres, aux coins des rues pour tenter désespérément de la voir, cette mini-bombe atomique, pour donner au moins un sens à ma journée : avoir utilisé mes yeux pour une cause susceptible de faire diminuer mon sentiment de manque.

Et je savais que je ne pourrais plus jamais vivre sans ça. Ce serait à un tel point insoutenable que l'issue en devenait inévitable. Il faut que j'essaie de me passer de cette étoile, par pur instinct de préservation, car il n'est pas normal, car il est inhumain de vouloir rester sur les lieux d'une catastrophe qui a déjà été prévue.
Je sens que l'échéance se rapproche à grands pas. Est-ce mal de vouloir profiter des derniers instants pour me brûler encore un peu les ailes ?

Pourquoi existes-tu, étoile ? Et surtout, pourquoi m'étais-tu destinée ?
Pourquoi ne puis-je aimer que toi ?
Qui a déjà puisé en lui la force d'aimer davantage une pauvre étoile à un soleil ?
Qui a déjà trouvé le courage de trahir son âme-soeur pour son bourreau ?

Selena, mon bonheur, mon amie... Ma meilleure amie, la vraie, l'unique, la seule qui m'aie un jour compris, celle que j'ai trahie.
Jamais je ne t'oublierai.

FIN

*******

Voir dans le post, pour trouver les autres textes, je suis désolée, je ne peux pas mettre tous mes textes à la suite, c'est trop long...

Édité par syliam le 28-06-2018 à 01h03

Montysbbg4

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Posté le 30/07/2009 à 14h47

ayé j'ai tout lu

Missaze

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Posté le 30/07/2009 à 15h19

désolé pas le courage de lire

Stroumpfette21

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Posté le 30/07/2009 à 16h05

tout lu aussi... je digère et j'en parlerai après...

Wounda

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Posté le 30/07/2009 à 16h56

J'ai enfin fini !!!
Et j'ai qu'une chose a dire BRAVO c'est extra et sa ne me surprend pas que l'on t'es dit que tu avait 20 ans parce que tu es très mature dans ce que tu écris.

Hippie69

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Posté le 30/07/2009 à 17h43

Comme dit plus haut: Bravo! Ton texte est agréable/facile à lire, continues à écrire tu es douée!
(Par contre il faudrait que tu m'explique ce que tu entends par "la gaminerie héroïque" d'Antigone )

Si tu as d'autres créations à nous mettre sous la dent, surtout n'hésites pas: tu as déjà tes lecteurs!...

Syliam

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Posté le 30/07/2009 à 18h33

ben euh, ça c'est ce qu'on a vu avec ma prof lol (même si j'ai détesté le voir avec ma prof, j'aurais préféré tout étudier seule haha ) : elle refuse de dire "oui" (c'est là où elle est gamine, elle veut pas grandir donc elle dit non pour pas avoir à faire d'efforts et de concessions... c'est ce que me reprochent souvent mes parents parce que je réponds souvent non ) et puis, indiscutablement, c'est une héroïne au sens littéraire du terme...

Après, tout est une question de point de vue

Merci de vos commentaires, c'est très encourageant ! le problème, c'est que, effectivement oui j'ai d'autres écrits que je pourrais publier (plus anciens donc à mes yeux moins réussis mais bon... ) mais je vais pas créer 36 sujets (36 = nombre mis au pif hein) pour chaque nouvelle...?! en tout cas, si je le faisais je me sentirais gênée.

Wounda

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Posté le 30/07/2009 à 19h03

Rajoute les au fur et a mesure

Syliam

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Posté le 30/07/2009 à 20h37

oui, enfin, faut chercher quoi =D
mais je crois que c'est ce que je ferai.

Si vous connaissez un éditeur sur le fow... lol

Hippie69

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Posté le 30/07/2009 à 20h59


syliam a écrit le 30/07/2009 à 18h33:
ben euh, ça c'est ce qu'on a vu avec ma prof lol (même si j'ai détesté le voir avec ma prof, j'aurais préféré tout étudier seule haha ) : elle refuse de dire "oui" (c'est là où elle est gamine, elle veut pas grandir donc elle dit non pour pas avoir à faire d'efforts et de concessions... c'est ce que me reprochent souvent mes parents parce que je réponds souvent non ) et puis, indiscutablement, c'est une héroïne au sens littéraire du terme...

Après, tout est une question de point de vue

Merci de vos commentaires, c'est très encourageant ! le problème, c'est que, effectivement oui j'ai d'autres écrits que je pourrais publier (plus anciens donc à mes yeux moins réussis mais bon... ) mais je vais pas créer 36 sujets (36 = nombre mis au pif hein) pour chaque nouvelle...?! en tout cas, si je le faisais je me sentirais gênée.


En faite c'est le therme "gaminerie" que me dérange, je ne le trouve pas vraiment approprié mais j'ai bien compris ce que tu voulais dire! Pour moi Antigone est justement l'anti-héro par excellence mais bon ce n'est pas le sujet de ce post...

J'ai des amis qui ont publié eux-mêmes leurs textes (en édition limité évidemment). Ca peux toujours être une solution pour faire tes débuts!...

Bonne chance!

Syliam

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Posté le 30/07/2009 à 21h20

Ouais, bon, c'est vrai, mes le truc, c'est que ce sont en priorité des amis de cours qui l'ont lu, c'était "pour eux" au départ, et donc, il y a des allusions à des débats entre nous... dont ça...

Si ya pas Gallimard ou Folio, j'veux pas lol JE SORS

Emiliee

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Posté le 30/07/2009 à 23h06

J'ai tout lu, et je ne me suis pas ennuyé un seul instant.
Des mots un peu compliqués parfois, mais que l'on finit par comprendre quelque phrase plus loin.

Texte magnifique, très bien écrit, émouvant... J'ai eu les larmes aux yeux plusieurs fois

J'AIME leur façons de penser, leur idées de dire "non" a tout. J'adore.

Un vrai régal de te lire, si tu as d'autre texte, fais nous en part sans hésiter !

Syliam

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Posté le 31/07/2009 à 12h16

Wow merci, ça fait trop plaisir !!!
Bon, ce que je vais faire, c'est que je vais mettre mes autres textes à la suite... ça va faire un post de départ un peu, beaucoup long, mais tant pis...

EDIT : je peux pas tout mettre, c'est trop long alors je vais publier à la suite... voilà ! ;)

Edité par syliam le 31-07-2009 à 12h34



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Posté le 31/07/2009 à 12h40

UNE AUTRE, UNE AUTRE !!!!!!

Syliam

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Posté le 31/07/2009 à 12h45

voilà, voilà !!!

(j'ai trouvé un smiley qui me ressemble assez lorsque j'écris LOL ^^)

Une si longue attente...


La jeune fille était blonde, les cheveux nattés en une longue tresse. Et elle attendait. C'était parfaitement ridicule, elle le savait. Mais elle ne pouvait pas se soustraire à cette mauvaise et idiote habitude qu'elle avait prise. « Les habitudes se changent ! » aurait sans doute asséné sa mère. Mais voilà, elle n'était pas vraiment sûre de vouloir renoncer à son dernier loisir du soir. Alors, elle attendait.
Elle commençait à se dire qu'il était tard, lorsque la personne qu'elle attendait sortit du collège. Elle franchit les grilles d'un pas décidé, sans se sentir pour le moins du monde observé. La silhouette souple, plutôt grande pour ses... quatorze ? Quinze ans ? L'adolescente ne parvenait pas à s'en souvenir. D'ailleurs, si quelqu'un à cet instant, lui avait demandé son nom ou son âge, elle aurait été tout aussi incapable de s'en rappeler.
La silhouette fila dans la rue sans se retourner. Les derniers élèves du collège sortaient au compte-goutte, bâillant ou bien, au contraire, en courant, et en hurlant à leurs amis : « j'y vais, je vais finir par être vraiment en retard ! »
Alors, elle partit. Elle sembla se souvenir alors de qui elle était. Elle voulut crier... et se réveilla. Elle était en cours de français, elle s'était juste endormie. La prof commença à hurler après elle. Elle soupira, résignée, et reprit des notes en espérant secrètement qu'elle referait une autre fois le même rêve.

***


Elle claqua la porte de son casier avec une violence qui ne lui ressemblait pas. Elle sortait de sport et avait bien besoin d'une douche. Glacée, de préférence.

- Quelque chose ne va pas ? lui demanda sa voisine de casier.
- Non ! Tout va très, trèèèès bien. C'est parfait. Rien à redire ! cracha-t-elle avant de se diriger vers la sortie, sous le regard interloqué de l'autre adolescente.

Le cours de sport avait été un désastre sur toute la ligne : d'abord, elle n'avait pas emporté ses baskets et elle s'était – encore – fait crier dessus par un prof. Ensuite, elle s'était ridiculisée en ne parvenant pas à attraper une seule fois le ballon lorsqu'on lui faisait la passe.
Et, enfin... elle en avait marre, parce que, dès qu'elle le regardait – ce qui arrivait assez fréquemment –, il était entrain de discuter avec d'autres filles, il parlait à TOUTES les filles de la classe, sauf à elle. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir essayé. Mais, non, son seul atout, son étiquette collée au front, c'était qu'elle était intéressante à avoir à côté de soi en contrôle. Ben oui, c'était ça : elle était douée scolairement, alors elle n'avait pas d'intérêt autre.
Pourquoi personne ne voulait donc l'apprécier à sa juste valeur ?
Quand elle n'était pas triste et renfermée, ou alors avec les yeux rouges, elle pouvait être drôle, amicale, fidèle...
Le problème était que la voir souriante était un vrai miracle, alors elle se disait, certains jours, qu'elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même.
Ce qui était partiellement la vérité.
Lorsqu'elle arriva chez elle, une demi-heure plus tard, elle fila immédiatement sous la douche. Elle laissa l'eau glacée couler le long de son dos, et ses pensées s'échapper librement, les souvenirs revinrent encore une fois, puis se mélangèrent au « cas actuel »... Elle ferma les yeux... esquissa une grimace... puis un sourire... et jura.
Ses paupières se soulevèrent, et son bref instant de tranquillité se brisa aussitôt, évaporé.
Pourquoi fallait-il toujours que toutes ses rêveries se finissent bien ?!
Pourquoi n'arrivait-elle pas à se faire une raison ? Il ne voulait pas d'elle. Point à la ligne.
Mais non, il fallait toujours que cette espèce de lueur d'espoir, cette petite chaleur si douce qu'il eût été si simple de faire grandir, de laisser envahir son corps, de ressentir ce bien-être passager... qu'elle avait ressenti tant de fois auparavant, n'ayant pas eu la force ou le courage de résister. Elle avait souffert, trop, même, pour son âge peu avancé. Alors elle ne voulait pas réitérer la même erreur. Sauf que cette résolution lui coûtait toute son énergie, toute sa joie de vivre, toute son espérance.
Les larmes lui montèrent aux yeux, et elle sanglota doucement en étalant sur sa peau pâle les bulles de savon moussant.
Le soir, avant de s'endormir, elle se prit à regarder les étoiles.
Certaines de ses amies n'avaient jamais connu l'amour, et s'en passaient. Était-ce, en fin de compte, mieux de ne pas l'avoir connu, plutôt que d'y avoir goûté et de ne pouvoir recommencer ?
Elle prit une pastille blanche et un verre d'eau.
Elle bâilla et se coucha, avant de sombrer dans un sommeil profond, artificiel et sans rêves.

***


Le lendemain, en arrivant au collège, elle avait les idées si noires qu'elle aurait pu repeindre tout le bâtiment avec.
Elle s'excusa auprès de ses amies, qui l'attendaient comme à l'accoutumée devant la fontaine depuis longtemps tarie, et fila dans les toilettes reprendre ses esprits, emmagasiner le maximum d'énergie... avant. Le cours qu'elle redoutait tant approchait à grands pas...
Elle avait, en un sens, de la chance : le cours de chimie qu'elle avait à subir était double, alors que certaines classes de troisième avaient deux fois une heure dans la semaine.
Alors, elle n'aurait à supporter les sarcasmes abominablement imbuvables du prof qu'une seule fois par semaine. Son voisin de paillasse, de même.
Lorsque la cloche sonna, elle sentit son estomac se retourner et se dirigea à grands pas vers la salle de physique.
C'était idiot, elle le savait. (Tiens, elle avait déjà eu la même pensée... pas longtemps avant)
Les yeux baissés fixement sur ses Converse, elle tressaillit.

- Tu reviens à côté de moi, hein ?

Il n'aurait pas eu la bonne idée d'être malade, ou bien, de se casser la figure dans les escaliers, par hasard ? Eh bien, non. Il fallait qu'elle se soit entichée de mec le plus adroit de la planète, voire de l'Univers entier et de tous les mondes parallèles.

- Oui, oui, dit-elle, tentant d'avoir l'air assuré.
- Tu as fait tes exos ? lui demanda-t-il encore.

Elle pesta intérieurement. Évidemment, les exos ! Ils étaient bien plus intéressant qu'elle, finalement, eux, au moins, arrivaient au final à des résultats concrets.

- Ouais, je les ai fais ! grommela-t-elle, agacée.

Il ne répliqua rien, l'air brièvement surpris de sa hargne fugace.
Elle lui en fut reconnaissante.

- En rang par deux, les p'tits cocos, et vous avez intérêt à jeter vos chewing-gums avant d'entrer, hein, j'en veux pas dans mes ports USB !...

Elle aurait voulu hurler de dépit ; quand ce prof-là apprendrait il – enfin – à être drôle ! Visiblement, il était à sa période sarcasme, mais heureusement pour lui, il ne fit pas de commentaire sur sa tenue ou sa coiffure – qui n′avait, pourtant, rien de particulier ; mais, au fond, les autres non plus... Les profs étaient vraiment les créatures les plus injustes que la Terre aie jamais abrité.

Elle s'assit. Sortit ses affaires. Pas un mot. Rien ; juste un vide sidéral, un immense trou de néant, aucune parole. Elle hésita à demander l'heure à son voisin ; avant de se souvenir qu'elle avait une montre. Et qu'elle aurait eu l'air encore plus idiot que d'habitude. Alors, elle se tut.
Le prof commença à débiter son flot de paroles, agrémentées d'un ou deux sarcasmes ou plaisanteries débiles auxquelles personne ne riait, ce qui avait le don de l'agacer prodigieusement.
Soudain, lorsqu'il annonça cinq minutes de pause, elle se tourna vers son voisin, mais elle faillit se retrouver à parler dans le vent. La bouche ouverte, elle assistait à l'amorcement incroyablement rapide d'une conversation absolument passionnante entre le jeune garçon et une fille de la table de derrière. Elle sentit la moutarde lui monter au nez.
La colère bouillonnait dans ses veines ; elle était jalouse, oui, c'était un fait. Mais, il était à peu près normal qu'elle exigeât du garçon même qui lui avait demandé de venir s'asseoir là et pas ailleurs quelques bribes de phrases. Non ?

Elle se rendit compte qu'elle déchirait nerveusement sa feuille de cours en petits lambeaux depuis deux bonnes minutes, alors elle soupira.

- Eh...?

L'autre se retourna, interrompu.

- Oui ?

Sa voix restait polie mais on y décelait une once d'agacement.

- Écoute, euh... Je sais très bien que tu m'as demandé de venir à côté de toi pour fayotter. Mais si tu continues à ne pas m'adresser la parole, je pense qu'il vaudrait mieux que je change de place.

Il ne s'attendait visiblement pas à cela.
« évidemment », songea la jeune fille, amère. « Qui pourrait penser qu'une fille qui aime assez l'histoire, la géo et la physique pour les étudier consciencieusement puisse avoir des maux de coeur ? Ben, oui, personne ! »
Elle le fixa du regard, sans détacher ses prunelles des siennes.
« C'est foncièrement idiot de penser que quelqu'un sache que je peux éprouver tout un tas de trucs.» ironisa-t-elle en elle-même, histoire de se torturer un peu plus.
Mauvais choix, car les larmes lui montèrent aux yeux, et elle se maudit au sens propre d'être aussi émotive, quoi qu'on puisse en penser.

Il semblait hésiter.
L'adolescente était coupée en deux : une moitié d'elle hurlait à sa conscience de décamper, que ça ne lui en serait que plus profitable. Et l'autre hurlait encore plus fort – beaucoup, beaucoup plus fort – qu'elle rayonnait littéralement lorsqu'elle était près de lui, alors que c'était mauvais de s'en priver.

- Tu ferais mieux de rester là où tu es, rétorqua-t-il enfin.

Puis il tourna le dos à elle et à ses interlocutrices qui avaient suivi l'échange avec un intérêt minime, et commença à rédiger son exercice en écourtant ainsi la pause de toute la classe lorsque le prof le vit, ce qui lui valut une pluie de grognements indignés.

Une demi-heure plus tard, un tambourinement insistant sur les murs et le plafond, métallique, prouvait qu'au-dehors il pleuvait des trombes d'eau.

- C'est un vrai déluge... murmura-t-elle pour elle-même, regardant par la fenêtre le déluge qui se déversait sur la cour bétonnée, l'air effaré.
- Tu rentres à pieds ?

Elle sursauta, ébahie, et se retourna.

- Ah, tiens ? Tu sais parler, toi, maintenant ? Je croyais que tu ne savais qu'écrire ? railla-t-elle, narquoise.
- Tu es dure, persifla-t-il, penaud. Alors, tu rentres à pieds ?
- Euh... oui, c'est exact (mais pourquoi fallait-il qu'elle case toujours un « euh » dans sa phrase ?!).
- Pas de bol.
- Ben, ouais, là il en faudrait beaucoup, des bols... répliqua-t-elle, hilare, en désignant le ciel du menton. (idem pour les « ben... ».)

Il se fendit d'un rire nerveux.
Ce n'était peut-être pas si dur que ça, alors, d'être sympa ? songea l'adolescente en le regardant mordiller le bout de son stylo, pensif, alors qu'il butait sur une question.
Elle le fixa quelques instants, puis eut pitié de lui et lui expliqua à grand renforts de
« tiens, tu vois » et de « je te l'avais dit » en réponse à ses « je le savais ».

***


Lorsqu'elle poussa la porte de chez elle, le soir, elle constata que ses parents n'étaient pas encore rentrés. Parfait. Elle suspendit son jean et sa veste trempés dans la lingerie près de la chaudière et fila sous la douche. Elle se brûla la peau et les tempes durant un quart d'heure, pour être sûre de ne pas attraper froid.
Elle grignota un carré de chocolat noir avant de se lancer dans ses maths.
Le monde était parfait, et qui sait, peut-être pourrait-il un jour l'être davantage... Mais elle n'était pas, pas du tout pressée de savoir quand serait ce « un jour » - s'il arrivait ! ce qui n'était pas prouvé, mais qu'elle espérait quand même un peu - et comptait bien profiter de l'instant présent.
Pourquoi pas, après tout ? La vie est trop courte pour ne pas en profiter, vous ne croyez pas ?

Toute ressemblance avec des personnes existantes et élèves à Saint Gabriel est vraiment, vraiment une pure coïncidence...

***


je vous poste l'autre dans 30 secondes

Y a parfois des bugs avec les apostrophes entre les post et Open Office... Si j'ai oublié d'en modifier, désolée !

Edité par syliam le 31-07-2009 à 12h51



Syliam

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Posté le 31/07/2009 à 12h55

La dernière que j'ai en stock (pour le moment lol)

Attention, passage légèrement bizarroïde... Bon, ça parle de sang pendant 2 secondes, mais je préfère prévenir :D

Légendes urbaines...


Que savez-vous vraiment de Saint Gabriel ?
Vous, collégiens, y passez la journée, enfermés dans des salles de cours – sinistres, mais vous n’y prêtez pas attention, pas la peine de rendre les cours encore plus ennuyeux... eh, je rigole, hein – mais dès que vous franchissez la grille, à cinq heures, et dès que les surveillants, les profs, les documentalistes, les… etc., sont rentrés bien tranquillement chez eux, sans se douter plus que vous de la scène qui se déroule dans les salles dès la nuit tombée...
Mais mis à part ce que vous voyez jours après jours, ans après ans, mis à part les murs décorés de graffitis pour dissimuler le papier peint plus de la toute première fraîcheur et la tête des profs déprimés par notre nullité ? – pardonnez moi, mon sens de l'humour est assez naze... d'ailleurs je ne suis même pas sûre que vous ayez compris que c'en était.
Pour revenir à ce que je racontais, je vais vous pardonner sans difficulté votre ignorance, car il y a quelques mois, je n'en savais guère davantage que vous.
A vrai dire, depuis que je suis entrée dans le Secret peu de choses dans ma vie ont changé.
Excepté le fait que je me réveille en hurlant presque toutes les nuits, le visage baigné de larmes et les cheveux poisseux de sueur. Excepté le fait que je regarde derrière moi toutes les cinq minutes a partir de la seconde même où je met un pied dans le collège. Excepté le fait que je n'ai plus grande confiance en qui que ce soit, en réalité.
Lorsque je suis entrée dans le Secret j'avais treize ans. J'étais en 4e EM, je multipliais les erreurs de jeunesse – pour citer certains – et je me trouvais très bien comme ça.
J'avais tendance à accorder trop facilement ma confiance aux gens, à voir leurs bons côtés malgré ce que tous disaient d'eux, et pour certaines personnes je ne démords pas de l'opinion que je me suis forgée à cette période, même si maintenant je suis en troisième et que ces personnes sont plus – ou moins – loin.
Je venais de passer mes premières Épreuves Communes. Autant vous dire que j'avais passé des nuits entières plongée dans mes cahiers et mes notes prises en cours, et que, quelques semaines auparavant, lorsque mes parents rentraient dans ma chambre vers onze heures pour me dire que, tout de même, il était tard et il fallait dormir, ils devaient baisser les yeux pour voir le haut de mon crâne dépasser de sous les piles de classeurs.
Je devais attendre encore quelques jours pour avoir mes résultats, mais je savais que les professeurs avaient corrigé les devoirs de ma classe, et ça m'angoissait terriblement. Pire, j'étais carrément paniquée.
L'idée germait dans ma tête depuis quelques jours déjà lorsque je me résolus à la mettre en pratique. C'était un jeudi soir, ça m'avait travaillée toute la journée et finalement je n'en informais personne.
Je terminai mes devoirs en élève studieuse, appliquée et je décrétai à mes parents que j'allais me coucher vers dix heures du soir, l'auréole au-dessus de la tête et les ailes dans le dos, la bouche en coeur.
Comme ils n'attendaient que ça pour aller eux aussi se coucher, ils ne crachèrent pas dessus et ne montèrent pas vérifier que j'étais effectivement sous ma couette.
Enfermée dans la pièce qui me servait et de chambre et de bureau et dans laquelle régnait un maelström de tout et n'importe quoi – livres écrits en anglais, cartouches de jeux vidéos, monceaux de superbes babioles complètement inutiles coûtant les yeux de la tête... – je préparai une sorte d'attirail de guerre en déployant des efforts pour surmonter la tâche horrible qui m'attendait... tout faire rentrer dans mon sac de cours. Bouteille d'eau ? OK. Sachet de bonbons Haribo ? OK – chacun son délire, hein. Si j'ai besoin de mes schtroumpfs en gélatine autant que de mes résultats, c'est mon problème. Alors arrêtez de rire bêtement.
Lampe torche ? OK. Élastique à cheveux de rechange ? OK – et, non, ne me demandez pas pourquoi j'avais besoin d'un chouchou supplémentaire.
Je me dévisageai dans la glace de ma penderie : une fille de taille moyenne aux cheveux blonds, coincée dans un jean foncé et un tee-shirt imprimé me fixa d'un air légèrement hébété.
J'avais du mal à croire à ce que j'allais faire : moi, la fille parfaite qui suit toujours les consignes à la lettre – officiellement – allait se débrouiller pour infiltrer son bahut de nuit, récupérer les notes de ses examens et repartir avec.
Je m'arrachai à ma propre contemplation et casai tout mon barda pèle-mêle dans mon Eastpack. J'attendis encore trois bons quarts d'heure, assise en tailleur sur mon lit, mon Walkman à fond – MUSE me pilonnant les tympans avec enthousiasme – puis je revêtis mon manteau malgré le mois de Mai plutôt chaud et me coulai dans l'escalier dans l'obscurité. Je jurai en manquant de trébucher sur le paillasson devant la porte d'entrée et gémis lorsque je me pris la poignée de cette dernière en plein dans le ventre.
Une fois dans la rue, je me mis à courir, ça me fit du bien, et je manquais de hurler de soulagement.
Je ralentis en arrivant devant Sain Gab. Les hautes grilles me firent un peu peur, surtout le barbelé au-dessus, mais sans paniquer j'extirpai l'épingle à cheveux que je trimballais depuis des lustres dans la poche de mon blouson et trifouillai un peu la serrure qui finalement céda dans un petit cling ! encourageant. Ne croyez pas que c'est difficile ou que ce truc bien pratique n'est réalisable que dans les films. Lorsqu'on à la tête comme une passoire et qu'on passe son temps à oublier ses clefs pour rentrer chez soi, on se retrouve bien obligé d'apprendre l'astuce. C'est donc mon cas.
Je refermai derrière moi, mais pas à clef – imprudente mais pas folle, la fraudeuse.
Je m'arrêtai avant d'avancer plus. Un goût familier envahit ma bouche et je frissonnai de plaisir. Ça ne m'était pas étranger, ce petit pincement dans le bas-ventre, ce sourire en coin, cette fièvre avant de transgresser un interdit. Cette poussée d'adrénaline. La petite voix dans le crâne qui siffle des avertissements mais qui n'y met aucune conviction...
Je grimaçai.
Souvenirs trop douloureux – stop – arrêter de penser – stop.
Dès fois, ça sert d'avoir une conscience. Si, si, je vous assure. Par exemple, elle vous avertit gentiment dès que vous vous aventurez en terrain miné – miné par vous-même, dans votre cerveau.
Je renouvelais le petit tour de passe-passe avec la porte du bâtiment au-dessus du préau. Ce fut plus facile, honnêtement.
Je grimpai les premières marches sans éprouver la moindre angoisse. Après tout, il n'y avait pas âme qui vive dans l'établissement. Je ne risquai donc pas de me faire prendre. Malgré tout j'éprouvai le besoin de ne pas faire de bruit, à ne pas faire éclairer le faisceau de ma lampe de poche trop fort. Pour préserver l'atmosphère, me dis-je, pragmatique.
Je pense nécessaire de vous préciser que, à cet instant précis et d'ailleurs depuis toujours, je ne croyais pas au surnaturel. Ni à la magie. Ni à la nécromancie, ni à quoi que ce soit d'autre qui ne soit pas démontrable, calculable, prouvé, et tutti quanti.
Je frissonnai de nouveau en passant la porte du couloir du troisième étage.

- Bon, OK, calmes-toi, Maïlys (oui, au fait, Maïlys c'est moi...). Tu rentres, tu repêche ta note et tu te barres...

Et comme prévu, mon ventre se tordit jouissivement, et mon visage se fendit d'un large sourire. Que n'aurais-je pas donné pour retrouver ce sentiment ? Sentiment que je n'avais plus ressenti depuis... ma gorge se noua. Depuis qu'il était parti.
Les papillons de mon estomac s'envolèrent, affolés.
Je n'avais aucune crainte, je savais qu'ils allaient revenir, mais quand même, je maudis une fois de plus celui qui les avait de nouveau fait fuir. Même sans le savoir, il anéantissait tout plaisir dans ma vie lorsque lui-même s'en retirai.
Je marchai à plat, sur le palier du premier étage. Je me rendis alors compte que je claquai des dents. Bon sang, ce qu'il faisait froid dans ce bâtiment... anormalement froid.
Je serrai les mâchoires, d'une parce que cela les empêchait de s'entrechoquer, et de deux parce que je commençais à angoisser. Ce n'était pas une petite peur passagère, du genre de celles qu'on a lorsqu'une araignée sors de sous votre agenda lorsque vous faites vos devoirs. C'était autre chose, une angoisse profonde.
Cric. Cric. Cric.
Je regardai mécaniquement sous mes chaussures, histoire d'en dégager le fichu gravier qui s'y était logé. Je gratouillai mes semelles.
Il n'y avait pas de gravier.

Je recommençai à monter, pas tremblant après pas tremblant.
Criiic. Criiic. Criiic.
Je me mis à haleter et à monter les marches en courant. Pourquoi fallait-il que les copies se trouvent dans une salle du troisième étage ? C'était si loin..?
Enfin j'y parvins.
Vous pensez peut-être que j'ai fondu en larmes. Ou que je me suis mise à me cogner la tête contre le mur dégueulasse en hurlant que j'étais poursuivie ? Ou en appelant ma mère ?
Eh bien non. J'avoue.
J'ai éclaté de rire.
En oubliant bien sûr la légère teinte hystérique de mon rire, je trouvai d'un comique incroyable le film que je venais de me faire. Attends, Léa, tu viens de nous faire quoi, là ? La fille qui est poursuivie par un revenant dans les couloirs de son bahut ? Ah ah ah ! Morte de rire !... je me mis à essuyer les larmes qui dégoulinaient de mes yeux en me tenant les côtes.
Remise de mes émotions, je coinçai ma lampe torche entre mes dents et ressortis mon épingle à cheveux une nouvelle fois.
La serrure résista puis enfin la poignée cliqueta. Je poussai le battant de la salle d'histoire. Le faisceau de ma lampe balaya le sol, les murs. La grande carte du monde usée, crayonnée et gribouillée de toutes parts par les profs était à sa place, devant la fenêtre, accrochée à un tableau à craie dont plus personne ne se servait. Le vrai tableau, le velleda, le blanc, était luisant et immaculé sous la lumière de la lune dont on voyait distinctement le quartier par la fenêtre.
Je crus voir quelque chose bouger derrière moi. Je fis volte face et soudain, ce fut le noir complet.
Zut, ma lampe s'est éteinte, pensais-je à haute voix, un peu moins calme malgré tout.
Mon subconscient se mit alors à jouer au jeu des erreurs avec moi.
Anomalie. J'avais remplacé la pile juste avant de quitter ma chambre. Anomalie. Elle n'avait montré aucun signe de faiblesse avant que le noir ne recouvre ma vue. Anomalie. Je ne voyais plus la lumière de la lune. Ni le scintillement du tableau. Ni la lune elle-même.
Ce n'était pas la lampe, c'était moi.
J'étais aveugle. Le noir, complet, un puits sans fond, des ténèbres m'encerclant quoique je fasse, sans aucune possibilité de riposte. Claustrophobie doublée de la phobie du noir.
Je paniquai. Non. C'est faux. Je perdis complètement les pédales.
Je me ruai n'importe où, à l'aveuglette, les paumes tendues en avant, me cognant contre les tables, leurs coins me meurtrissant les genoux, les cuisses. J'avais mal, je hurlais de peur, de douleur, je continuai à courir, à me frotter les yeux, je me rendis compte aussi que je pleurais de terreur car mes poings étaient mouillés.
L'inévitable se produisit : je m'emplâtrai dans un mur.
Accusant le coup, je m'écroulai à terre, à plat ventre.
Je me relevai, et je vis rouge. Non, ce n'est pas une expression. Mais je m'étais si violemment encastrée dans le mur que mon nez et mes arcades sourcilières saignaient à flot.
Je m'essuyai les paupières du dos de la main, encore vacillante.
J'étouffai un glapissement : je voyais de nouveau.
Un petit rire cristallin s'éleva derrière moi.

- Tu es vraiment si drôle.

Je vis demi-tour si brusquement que je vis des étoiles et je dus me raccrocher au rebord d'une des tables de classe.
Une jeune fille d'environ mon âge était nonchalamment assise sur le rebord d'une des fenêtres.
Je reculai, me retrouvai acculée à une table.

- Qui... qui es tu ? bégayai-je.
- Est-ce vraiment si important ? répliqua la jeune fille.

Si son rire était splendide, sa voix était tout bonnement abominable. On aurait dit une craie crissant sur le tableau qui soutenait la carte, là-bas, ou des ongles désespérés raclant le sol.

- Que fais-tu ici ? repris-je. On a pas le droit d'être ici, normalement.
- Je suis là où je suis censée être, dit-elle de sa voix insupportable.
- Je ne comprends pas. Et puis, je ne t'ai pas souvent vue pendant la journée, en réalité, fis-je – ma voix tremblait sans que je sache vraiment pourquoi.

Elle avait de longs cheveux blonds, deux petites tresses entouraient sa tête comme une couronne, ses pommettes hautes et son nez se plissèrent lorsqu'elle sourit. Ses contours paraissaient indistincts, flous, les couleurs ne me semblaient pas aussi nettes que d'ordinaire, chose que je mis sur le compte du sang qui collait mes cils et mes sourcils.

- C'est normal, dit-elle enfin, détachant chaque mot avec un soin qui semblait la délecter au plus haut point. Mais moi, je te vois tout le temps. Je t'ai même souvent étudiée, ces derniers mois. Tes pensées sont si proches des miennes, tu sais. Tristesse, désespoir. Tu as été déçue. Tu as été laissée tomber comme quelque chose de moins que rien. D'une manière détestable.

Je la dévisageai, incrédule.

- Comment le sais-tu ?

Puis la vérité s'imposa de force à moi malgré mes efforts surhumains pour la refouler. Pas âme qui vive... Je mon estomac se retourna et une violente nausée me força à ravaler ma bile.

- Comment es-tu...?
- Je me suis jetée du quatrième, si tu veux savoir comment je suis morte, dit posément le spectre en sautant à bas de la fenêtre.
- Du quatrième étage ? De Saint Gabriel ? m'exclamai-je, horrifiée.

Je reculai alors qu'elle s'avançait vers moi.

- Pourquoi ? murmurai-je en reculant à tâtons, mains derrière le dos pour ne pas me heurter de nouveau à un objet. Est-il possible qu'on t'aie fait tant de mal ?
- C'était un garçon, susurra l'ectoplasme d'un ton rêveur. Je l'aimais à la folie, et lui... il m'a plaquée sans aucune explication. Il me croisait dans ce collège, tous les jours, et il faisait comme si il ne me connaissait pas. Et on se moquait de moi... je ne l'ai pas supporté. J'ai sauté, et depuis, tout va mieux. La douleur est devenue supportable, et je peux désormais me régaler de celle des autres... veux-tu faire comme moi, Léa ? Veux-tu goûter à l'immortalité ? Nous pourrons ainsi causer du tort à tous ceux qui font du ma aux jeunes filles si sensibles que nous sommes... nous ne serions plus vulnérables, nous, nous les protégerions... Ou alors, nous leurs apparaîtrions... et nous les ferions nous rejoindre...

Je regardai la jeune fille, bouche bée.

- Tu veux que je me suicide ?
- Mais oui, fit le fantôme avec un hochement de tête appréciateur. Je t'assure, sur le coup c'est un peu douloureux, mais après on ne sent plus rien... Regarde, ça ne me fait pas mal !

Elle souleva sa robe, et je remarquai au passage que le tissus, la coupe semblaient d'un autre âge. Une longue estafilade de sang coagulé barrait sa poitrine, de son épaule droite à son bassin. Je crus défaillir.

- Jamais ! hurlais-je à m'en faire exploser les poumons. Celui qui m'a minée était inconscient de ce qu'il faisait. Ça fait longtemps que je lui ai pardonné. Et même, je crois que même si je l'ai dit à bien des gens, même si je me le suis dit à moi-même, je crois que jamais je ne l'ai réellement haï. Jamais !

Et je déguerpis, luttant de toutes mes forces pour ne pas vomir dans les escaliers, priant pour que le brouillard que la morte avait fait planer sur moi quelques instants avant qu'elle ne me révèle sa présence ne réapparaisse. Je laissai toutes les portes comme elles étaient, ouvertes à la volée. Mes yeux brouillés de larmes et de sang séché ne me servirent pas à grand chose pour rentrer chez moi, et je me demande encore comment j'ai réussi à ne pas me faire clouer au bitume par une voiture, dans la nuit noire.
Je ne sais pas non plus comment mes parents ont pu ne pas m'entendre rentrer alors que je ne fis aucune attention au bruit que je faisais en remontant me calfeutrer dans ma chambre.
Je me déshabillai à toute allure, et enfilai ensuite mon pyjama en claquant des dents comme une folle. C'est alors que je vis mon reflet dans le miroir : on ne m'aurait pas reconnue.
Mes traits étaient recouverts d'un épais voile rouge foncé, j'étais couverte de bleus. Je m'étais fait plus de mal en percutant tables et murs que je ne le pensais.
Comment faire avaler la pilule à mes parents me sembla un jeu d'enfant.
J'entrepris de gratter toutes les croûtes avec mes ongles, et le tout se remit à saigner. J'aurais pu atteindre le comble du sadisme en m'en refaisant de nouvelles, mais je me retint et me mis à hurler que j'avais mal. Dans la seconde qui suivit mes parents déboulèrent dans la pièce, avalèrent sans discuter le fait que j'étais somnambule et campèrent dans ma chambre durant toute la nuit – et beaucoup d'autres par la suite.
On me fit ingurgiter des tonnes de médicaments contre le somnambulisme que j'avalais de bonne grâce – et filai derechef dégobiller le tout dans les toilettes, car de toute manière je ne voulais pas dormir, hantée par l'image de la jeune suicidée me tendant une main dégoulinante de sang vers l'au-delà, par ses yeux tristes et avides de vengeance, par ses traits déformés par la haine et la rage, refusant de rejoindre Morphée par peur de me retrouver fantôme à mon tour sans très bien savoir comment.

Je ne montrai rien de mon trouble à mes parents, car jamais ils ne me voyaient telle que je devenais au collège. Et depuis, mon attitude n'a pas changé.
Tous les matins, je frémis en passant la grille, me retenant de fuir le plus loin possible à toutes jambes, je fixe le fond des prunelles de chacun de mes amis pour vérifier qu'aucune lueur démente ne s'y trouve, j'effleure du doigt les vêtements pour en tester la solidité, je regarde derrière moi à chaque pas que je fais, je ne me déplace jamais seule et surtout, surtout je ne peux plus passer un seul cours d'histoire dans cette salle du troisième étage sans aller aux toilettes vomir ou pleurer. Car je sais qu'elle est là. Qu'elle me regarde – moi ou une autre fille présente dans cette salle, à fixer ce tableau blanc, cette carte du monde défraîchie. Je me sais semblable à elle, je me sais victime de la même trahison. J'ai peur. Je ne veux pas mourir. A cause de n'importe qui d'autre, oui, d'accord. Mais pas à cause de lui. Parce qu'après, je serais parfaitement incapable de lui en vouloir.


J'avais réussi mes épreuves communes.

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Finish ! qu'est-ce que vous en pensez ?
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