Ça n'aurait pas dû être lui.
J’ai essayé pourtant, j’ai vraiment essayé de le soigner, de le sauver. Parce qu’on ne devrait pas avoir le droit de mourir à dix-neuf ans. Dix-neuf ans c’est trop jeune, c’est injuste. J’en prenais soin comme de la prunelle de mes yeux, parce qu’il était tout pour moi, parce qu’on aurait dû fêter mes trente ans, puis les siens. Et nos quarante aussi. Ça n’aurait jamais dû être dix-neuf, parce que c’est beaucoup trop jeune, c’est trop tôt, et ça ne devrait pas pouvoir arriver, pas quand on fait tout pour que ça s’arrange.
On dit souvent qu’on aura dans nos vies qu’une fois le cheval de notre vie, qu’il y en aura qu’un qui sera toujours LE cheval, celui qui nous transperce comme aucun autre n’y arrivera, celui qu’on aimera plus fort qu’on n’aimera jamais. Pour moi, c’était Darius. Il était absolument tout pour moi. Je disais toujours qu’il était parfait et c’était vrai. Il était si gentil, si doux, si sûr de lui. Il savait ce qu’il voulait et il avait appris à le dire. Il m’énervait tellement quand il refusait d’allonger la balade pour rester brouter mais j’étais en même temps si fière de lui de le voir prendre des décisions alors même qu’il avait passé tant d’années à devoir se taire et obéir. Je l’aime tellement.
Comment vivre sans regret et sans culpabilité quand tout s’arrête si brutalement une nuit de mai ? Comment accepter qu’il n’y aura plus jamais aucune balade ? Aucune séance interminable de grat-grat ? Que je ne verrai plus jamais son gros nez se rapprocher de moi pour réclamer des carottes ? Ni ses petites oreilles en avant ? Il ne me donnera plus jamais de coup de tête, ne montera plus jamais sur son pad qu’il adorait, ne trottera plus jamais pour arriver plus vite à l’herbe ni ne changera de direction en plein milieu de la balade pour exiger de rentrer. Il n’y aura plus jamais de tout ça et je n’en ai pas du tout assez profité, je l’ai pris pour acquis alors que ça pouvait s’arrêter si brutalement. Et ça s’est arrêté.
Une amie me répétait souvent que les chevaux étaient des animaux traumatisants, et je n’avais jamais compris la portée de ses paroles avant cette nuit-là. Leur fin peut être si brutale, si injuste, si atroce que ça en est irrespirable. Il devait être mon compère pour la moitié de ma vie et ça s’est pourtant arrêté d’un coup, en moins d’une journée. Tout a été balayé d’un revers de main, ne laissant qu’un immense vide qui ne sera jamais comblé. Il était ma petite merveille, mon gros rat, la star, le roi. Et maintenant il n’y a plus rien. Vainqueur ne reverra plus jamais son copain, son partenaire dans tous ces changements si difficiles pour lui. Attis ne reverra plus jamais ce gros grincheux qu’elle adorait même s’il la chassait tout le temps. Ils vivront sans jamais savoir ce qu’il s’est passé et sans même se rendre compte qu’ils ont perdu le meilleur copain qu’ils ne côtoieront jamais.
Imaginer qu’il ne sera plus jamais là me semble irréel, impossible. J’ai l’impression qu’il va rentrer, qu’un soir on arrivera au pré et qu’il sera de nouveau là, à brouter l’herbe qu’il n’y a pas à quelques mètres des gros gloutons qui se gavent de foin. Mais non. Il ne me reste plus qu’un licol et des souvenirs, pour toujours. J’aimerais tellement que tu reviennes…
Pardon Darius de ne pas avoir été à la hauteur. Je t’aime.
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