Voilà enfin le grand jour. Petit Tonnerre va être opéré. Le poney vaisonnais dont la cataracte a provoqué une chaîne de solidarité sans précédent va retrouver la vue. Pour cela, il fallait passer par les mains particulièrement habiles du chirurgien-ophtalmologue. Ce qui a été fait hier de 9 heures à 10 h 15, dans la clinique équine d'Argonay, en Haute-Savoie.
Le Dr Pierre-François Isard assisté d'un collègue, d'un anesthésiste et d'une infirmière a œuvré... Devant une assistante. Les opérations de ce type (une dizaine par an en France) sont assez rares pour que les étudiants en profitent.
Après avoir rasé l'animal sur l'encolure, l'infirmière lui rince la bouche pour qu'aucun aliment ne passe dans les poumons au moment de l'intubation. Un gargarisme digne de Gargantua au-dessus de son lavabo. L'anesthésiste lui pose un cathéter. Non sans difficulté. « Il est un peu dodu ce pépère » commente-t-il. Un technicien lui tresse la queue, le toupet et la crinière. Pas de réaction, le patient a déjà reçu un petit calmant. Le chirurgien arrive.
« Voilà le chef » lance l'infirmière. L'ambiance est encore détendue et les dialogues relèvent davantage de la vie quotidienne que de la science. Le vétérinaire prépare son matériel. Petit Tonnerre lance un hennissement timide. Il ne voit rien puisqu'il est aveugle mais sent que la situation n'est pas ordinaire. Le produit est injecté. Quelques secondes après le poney vacille sur ses jambes. Il peut tomber car l'espace dans lequel il a été transféré est capitonné. Trois personnes le tiennent contre la paroi pour que la chute soit douce. Petit Tonnerre est déjà sur un nuage.
Il est ensuite posé sur la table d'opération à l'aide d'un treuil. Là, les choses s'accélèrent. Plus question de parler du chat de la voisine ou de la météo. Les gestes sont sûrs, précis, et radicaux. Petit Tonnerre n'est plus qu'un corps de 300 kg. Une masse aussi fragile qu'imposante, couchée les quatre fers en l'air, dans une position délicate. Les accidents d'anesthésie ne sont pas rares chez les chevaux car quand ils sont couchés sur le dos, les viscères appuient sur le diaphragme et ne favorisent pas une bonne respiration. C'est au tour de la microchirurgie d'accomplir un miracle. Dans la bouche des experts, les termes médicaux coulent en cascade aussi obscures que savants.
Soudain un sabot s'agite... L'animal est en train de se réveiller. Vite une nouvelle dose de concentré de sommeil. Effet immédiat. Le travail peut continuer. Il se déroulera parfaitement. Mais les "constantes" de la bête ne sont pas optimales. Sa tension fait du rase-mottes. Alors d'un commun accord les deux praticiens décident de remettre l'opération de l'œil droit au 4 mai.
Petit Tonnerre est libéré de ses tubes, de ses perfusions et de sa léthargie. Il est déposé dans le box de réveil avec toujours à ses côtés l'anesthésiste, son ange gardien. Ce dernier passe une main devant son œil. Le poney a un mouvement de recul. Il voit.
