Le droit du cheval pour les nuls n°5
Posté le 30/01/2015 à 13h55
Le droit du bour… euh, le droit du cheval pour les nuls – fiche n°5 : des mille et une manières de tirer sur l’ambulance vétérinaire.
Tout petit déjà, Henri-Bastien Tord-Nez aimait disséquer les animaux domestiques, surtout vivants, ce qui n’était pas sans susciter une légère exaspération chez les gens de son village. C’est donc de manière naturelle qu’à sa sortie de l’hôpital psychiatrique Charles Manson, où il avait longuement séjourné en raison d’une regrettable confusion qu’il avait faite entre un chat et sa grand-mère, il s’orienta vers des études vétérinaires.
Malgré son air jovial, la venue du bon Docteur Tort-Nez à la Galoperie, n’était pas sans susciter l’effroi de l’ensemble de la cavalerie, ainsi que celui de Désiré-Paul pour qui, en authentique gérant de centre équestre, chaque ouverture du portefeuille provoque une intolérable souffrance.
Mais nous n’avions pas le choix, il est le seul véto à des kilomètres à la ronde qui fait la différence entre un frison et un hamster, même en sortant de déjeuner. Et on en connaît pas beaucoup des gars qui pourraient gagner des fortunes en filant de l’homéopathie à des caniches neurasthéniques et qui à la place vont gagner trois fois rien à mettre le bras dans ce qui sert habituellement à fabriquer du crottin.
Et voici donc qu’il apparut, sa sacoche en bandoulière.
Tiens, voilà le Docteur Petiot, fit Jean-Maurice en me poussant du coude, car les chevaux ont des coudes sans quoi ils ne pourraient pas s’installer aux comptoirs des bistrots.
Tais-toi, malheureux ! Tu veux te retrouver dans le formol ? Broutes ton foin et prends un air détaché, la Faucheuse approche.
Bien le bonjour les amis !
Je vous avais dit qu’il était jovial.
Mais dites-moi, il n’est pas un petit peu palichon Jean-Maurice en ce moment ? Il lui faudrait une bonne saignée, comme à Louis XIV. J’ai justement investi dans un tout nouveau bistouri capable de découp…
Docteur Tord-Nez ! Mais que nous vaut ce plaisir ? Des vict… euh, des patients à visiter, aujourd’hui ?
Non, pas vraiment, mais figurez-vous que Marie-Bouriquette, pour qui je fais office de médecin traitant (on est à la campagne, hein, vous savez ce que c’est), m’a vanté vos connaissances juridiques. Car il se trouve que je me pose quelques questions à la suite, je dirais, de quelques anecdotes professionnelles.
Marie-Bouriquette a l’air tellement bête que ça ne m’étonne pas qu’elle se fasse soigner par un vétérinaire, dit Jean-Maurice, pour qui le fait d’être doué de la parole n’était pas compatible avec celui de savoir tenir sa langue.
Jean-Maurice, mon doux compagnon, voudrais-tu nous laisser discuter entre humains, je te prie ? De quelles anecdotes s’agit-il, cher Docteur ?
Eh bien, d’abord j’ai été il y a quelques temps appelé par votre amie Kimberley, dont la shetland, Mouillette, ne faisait plus de crottin depuis 24 heures et ne cessait de se regarder les flancs tout en transpirant.
Le diagnostic était évident pour un professionnel comme moi, vous vous en doutez : c’était immanquablement un rhume des foins. Je lui ai immédiatement prescrit une tisane sauge verveine avec un soupçon d’eau de Javel pour le goût.
Euh, laissez-moi deviner… ça n’était pas un rhume ?
Non, il se trouve que c’était une colique. Etonnant, non ? Enfin, tout le monde peut se tromper. Heureusement, Kimberley a eu la présence d’esprit de brancher une télévision dans le box et de mettre Mouillette devant « Des Racines et des Ailes ». Et comme chacun sait que cette émission fait considérablement ch…, enfin vous voyez ce que je veux dire, et bien la brave bête s’est vidée toute seule. Il faut dire qu’un reportage sur le Pétunia à tige dorée, fleur remarquable des alpages, cela vaut bien trois kilos de Forlax.
La nature est quand même bien faite, hasarda Jean-Maurice, en bon amateur de poncifs.
Certes, en tout cas maintenant que je sais que les équidés peuvent faire des coliques, je vais publier cette découverte dans « Science et Bourrins ». Mais Kimberley est un peu fâchée et me menace d’un procès ainsi que d’une lettre à l’Ordre des vétérinaires. Qu’en pensez-vous ?
Qu’est-ce qu’elle est soupe au lait cette Kimberley, repris Jean-Maurice, vous auriez vu le patacaisse qu’elle nous a fait il n’y a pas longtemps pour une soi-disant odeur d’urine dans son casque ! Qu’est-ce que ce sera quand elle découvrira ce qu’on a mis dans ses bottes hier soir !
Jean-Maurice, tu veux pas allez voir au fond du box ? Je crois que tu y as oublié deux ou trois granulés.
Je ne voudrais pas être trop pessimiste, Docteur Tort-Nez, mais vous n’êtes pas sans savoir qu’en matière de diagnostic, l’erreur commise par le vétérinaire n’est pas constitutive de faute professionnelle que tout et autant que des investigations suffisantes aient été menées, et que l’interprétation, au vu des symptômes, ne relève pas de l’ignorance grossière. D’ailleurs, s’agissant de l’acte de soin, le système est le même : vous n’êtes pas fautif tant que l’acte a été réalisé dans les règles de l’art, mais si l’erreur est grossière ou si vous ratez un acte d’une évidente facilité, là vous engagez votre responsabilité.
Or, s’agissant de votre diagnostic fait sur Mouillette, je crains que les données de la science en matière de colique équine soient quelque peu plus avancées que ce que vous pensez, alors au surplus que votre code de déontologie vous impose d’entretenir et de perfectionner vos connaissances tout au long de votre carrière.
Ce qu’il cherche à vous dire avec tout ce charabia, dit Jean-Maurice, c’est qu’on espère que vous avez souscrit l’assurance de responsabilité civile qui dans votre profession est obligatoire.
Oui, évidemment, je suis « dommages aux tiers et bris de glace » chez Direct Accident. Autant vous dire que je ne crains rien ! Mais bon, ce n’est pas tout. Marie-Bouriquette m’a demandé de castrer Toquarus. Elle le trouvait trop entreprenant avec elle. Il n’arrêtait pas de lui envoyer fleurs et SMS. Ça devait être l’odeur qu’elle dégage. Bref, j’arrive, je castre Toquarus, mais quelques semaines plus tard Marie-Bouriquette me rappelle pour me dire que depuis qu’il est hongre, il refuse de sortir en concours, qu’à la place il passe des heures à se regarder dans le miroir du manège en essayant des robes et qu’il chante comme Farinelli. Elle me dit aussi qu’elle déteste l’opéra italien et que si elle avait su, elle ne l’aurait jamais fait castrer.
Je ne connaissais pas ces effets secondaires de la castration, mais le fait est que vous étiez tenu d’une obligation préalable d’information vis-à-vis de Marie-Bouriquette. Toquarus, malgré son léger surpoids, était un cheval de concours qui enchainait facilement des parcours à 35 centimètres, à l’instar des meilleurs poneys nains retraités de la Galoperie. La perte de valeur sur le marché est considérable, et vous avez privé votre cliente de la chance de renoncer à l’opération compte tenu des risques.
C’est facheux, c’est facheux. Mais je crains que ce ne soit pas tout. Une autre fois, Terminator avait lui aussi des maux de ventre, mais c’est parce qu’il venait de consommer un fonctionnaire de la Poste, ce qui n’est pas une nourriture adaptée à un équidé, on ne le répétera jamais assez. Désiré-Paul m’a appelé complètement affolé, en me disant que la pauvre bête souffrait le martyr.
Il parlait du facteur ? ne put retenir Jean-Maurice.
Non, de Terminator. La sacoche de courrier était restée coincée entre ses dents et le vélo lui pesait sur l’estomac. Mais là, je suis désolé mais j’avais beau être de garde, j’avais bridge. Et le bridge c’est ma passion. Autant vous dire que j’ai refusé d’intervenir. En plus, il pleuvait. Enfin, ils annonçait de la pluie pour le lendemain, et je déteste être mouillé. Et je n’ai pas orienté Désiré-Paul vers un confrère. Mais j’ai quand même fini par y aller trois jours plus tard. Je suis rentré dans le box et j’ai demandé à Désiré-Paul de me tenir Terminator le temps de la vélocipédo-extraction, une opération dont j’ai le secret pour avoir été soigneur sur le Tour de France.
Sur le Tour de France ?
Oui. Vous savez, un cycliste c’est très proche d’un cheval de course. La taille du cerveau est la même et on leur injecte les mêmes produits. Mais pour en revenir à ce qui nous occupe, il y a malheureusement eu une très légère réaction. Vous savez comme cette brave bête est fougueuse !
Vous parlez de Désiré-Paul ? pouffa Jean-Maurice.
Non, voyons, de Terminator. Il a administré un magistral coup de pied à Désiré-Paul, qui heureusement s’en est tiré avec seulement quelques égratignures et à peine 15 jours de coma.
Ah. Quand même. Ça doit être pour ça qu’il ne nous reconnaît plus et qu’il a de la bave qui coule sur le côté de la bouche.
Là aussi, j’ai une menace de procès et de plainte à la gendarmerie ! Vous êtes procéduriers à la Galoperie, n’est-il pas ?
Bon, alors d’abord, Docteur Tord-Nez, nous vous rappelons respectueusement que pour un vétérinaire, le refus de se déplacer sans raison valable peut relever d’un point de vue pénal, de deux contraventions qui sont l’atteinte involontaire à la vie d’un animal par abstention, ou les mauvais traitement à animal. Alors certes, dans un cas comme dans l’autre vous ne risquez que quelques centaines d’euros d’amende, mais sur le volet disciplinaire je crains que vos confrères ne vous « loupent » pas. Souvenez-vous qu’ils peuvent vous suspendre voire – pour l’ensemble de votre œuvre – vous radier purement et simplement de l’Ordre.
Ensuite, d’un point de vue civil, lors de votre tentative d’intervention, Terminator a été placé sous votre garde juridique, ce qui a pour conséquence de vous rendre responsable des dommages qu’il a causé aux tiers, c’est-à-dire en l’espèce du léger « passage à vide » de Désiré-Paul.
Et pendant que vous êtes là, Docteur, il me semblait vous avoir demandé de vacciner mon Jean-Maurice contre la chtouilus bourinus, vous savez cette maladie sexuellement transmissible que je craignais qu’il contracta en raison de ses mœurs quelque peu dissolus.
Mais je l’ai fait !
Oui, mais voilà, il l’a quand même attrapée puis refilée à toutes les juments à la ronde, ainsi qu’à Toquarus.
Attends, Toquarus c’était un malentendu, dit Jean-Maurice. Il portait une robe !
Ah. Je vois, je vois. Cela m’est déjà arrivé. C’est parce que j’ai tendance à laisser les produits se périmer ou à les oublier dans le coffre de ma voiture garée au soleil.
C’est regrettable, parce qu’en principe, si un accident survient du fait de l’injection d’un produit défectueux, vous êtes responsable vis-à-vis de votre client, mais vous disposez d’un recours contre le pharmacien qui vous a vendu le produit. En revanche, si vous êtes dûment informé des conditions d’emploi du produit, ne serait-ce que par la notice qui lui est jointe, et que vous ne les respectez pas, votre recours tombe et vous devez seul assumer les conséquences de votre faute. C’est la même chose pour les vétérinaires qui administrent par erreur et à l’insu du propriétaire, des substances classées dopantes.
Donc à votre place, conclut Jean-Maurice, on ne trainerait pas dans les parages. Quelqu’un pourrait appeler les gendarmes.
Et c’est ainsi que le Docteur La Mort tourna les talons complètement dépité, tandis que la cavalerie poussait un « ouf » de soulagement.
Bon, et bien ça, c’est fait, dis-je à Jean-Maurice en cherchant mon smartphone tout neuf qu’il me semblait avoir posé juste à côté du box.
Dis-donc, tu te souviens du coup des clés de la camionnette ?
Evidemment, espèce de crétin, j’ai passé deux heures à les chercher dans ton crottin.
Et bah devines où il est ton portable ?!
Docteur ! Ne partez pas ! A la réflexion je me demande si Jean-Maurice n’a pas besoin d’une petite saignée !
La prochaine fois, nous réaliserons, dans le cadre de notre campagne de relance de la filière de la viande chevaline, la recette du cheval Melba.
Merci de votre attention.