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Attention, ce post est extrêmement long. Il ne sert à rien d'autre qu'un exutoire. Qu'une explication de pourquoi et de comment. Un moyen de me pardonner et de demander pardon à ma jument. J'ai pleuré en l'écrivant, je pleurerai encore en le lisant. Mais j'avais besoin....
J'écris à chaud, pour me souvenir, pour vivre une dernière fois, parce que l'expérience est un partage, parce qu'on ne sait pas toujours quoi faire, ni comment le faire. Et certainement aussi par besoin de me rassurer, ai-je bien fait, était-ce la bonne solution, l'unique option, n'était-ce pas trop tôt ou, justement, trop tard … La vie de propriétaire ne s'arrête pas au décès de l'animal. Il y a encore une énorme phase, que le cerveau se complaît à faire durer par des images, des doutes, pléthore d'interrogations.
Nous sommes le 02 Octobre 2024. Il pleut des cordes d'eau. Tartine et Flip sont de retour au paddock d'hiver, à côté de la maison. Cette année, pour la première fois de leur vie, ils ont le paddock entier pour eux. La gamelle d'eau est à l'autre bout, le grattoir est garnit d'énormes branches de saule blanc. Leur partie de l'abri est paillée, l'autre est à moitié vide, froide. Cela fait courant d'air. « Le ciel pleure cette terrible perte ... ». On dirait bien que c'est vrai.
Tout à vraiment commencé sous la même météo. On est au début du mois de Septembre, c'est la rentrée des classes, c'est la préparation de la fête foraine. Quand j'arrive au parc un matin de repos, je vois Golfite et son œil. Il est bleu, il coule, très gonflé. Nous sommes Dimanche, on appellera la clinique le lendemain. Le rendez-vous est pour le mercredi. Ce n'est probablement pas une urgence en temps normal. Instinctivement, durant ces 3 journées, chéri et moi discutons de l'état de Golfite et de son œil. Le constat du 18 Septembre est sans appel, c'est un bel ulcère mais pas encore trop profond. Masque anti-UV sur le nez, crème et protecteur pendant huit jours et nous referons une visite.
Ce sont les huit jours les plus longs. Parce qu'on ne voit pas d'amélioration. Parce que notre jument est âgée et prend ce « coup de vieux » fulgurant. L'homme et moi parlons longuement, tous les jours, avec un trémolo dans la voix. On sait, on voit, on le sent. La jument nous indique parfaitement son état de santé. Mais nos yeux se ferment face à l'évidence. Après tout, la vétérinaire va revenir. On a conscience que trois options sont possibles : maintenir le traitement parce qu'il fonctionne. Faire opérer (énucléation) parce que le traitement ne fonctionne pas. Euthanasier parce que le traitement ne fonctionne pas et compte tenu de l'âge du cheval, son état général et la douleur engendrée …
Le 25 Septembre 2024, la vétérinaire revient. Une vétérinaire charmante, douce, qui s'est occupée de plusieurs de nos animaux ces dernières années, qui commence à connaître notre façon d'aborder les choses et qui prend le temps. J'ai Golfite en longe dans les mains, la vétérinaire regarde son œil, me regarde. Je lui dis « ce n'est pas beau », elle me répond « c'est pire. Bien pire ». Chéri est à l'autre bout du pré, on sait tous les deux. Mais je ne pleure pas parce qu'on doit discuter, on doit écouter et entendre. Dr D. alors me dit qu'une option est possible, la clinique en Alsace, pour énucléer son œil malade. L'échange est lunaire parce qu'on sait toutes les deux, et je le dis, que ce n'est pas cohérent. La jument est ataxique, très très algique, elle est désorientée, elle ne voit absolument plus rien, elle est âgée. Est-il sérieusement convenable de lui imposer 2h de transport, une chirgurgie, 2h de transport retour, des soins à gogos pendant des mois... Pour quel résultat !? A ce moment-là, je me juge moi-même parce que j'ai l'impression de me fermer face à la difficulté et aller faire le plus simple, le plus court, le moins cher. La culpabilité est puissante, je fonds en larme. On en parlait depuis une semaine, on savait. On voyait... Compassion de la part de Dr D. « Vous voulez qu'on le fasse maintenant ? ». Je fonds en larmes. Bien sûr que non, il y a trop de choses à gérer, puis ça peut pas finir comme ça, on rebouche le crayon on ferme le cahier et on s'en va... Bien sûr que non.
« Je comprends. Mais elle souffre cette jument, un ulcère, ça fait très mal. Appelez la clinique dans la journée pour prendre rdv […] Je vous laisse … 6 anti-inflammatoires !? Bon courage, bonne journée. Elle mérite d'être bien accompagnée, elle n'a pas besoin de souffrir. Plein de courage à vous ».
Notre vie, à ce moment-là, s'arrête net. Coupure franche, plaie béante. On rentre à la maison, trempés, dégoulinants. Plus de voix. Je tremble. L'homme est vide, il est transparent, il se maîtrise. On n'ose pas croiser nos regards, parce qu'on flancherait. Les cafés refroidissent. Putain de bordel de merde … ! Maintenant, je dois téléphoner pour faire assassiner mon cheval, ma jument que je connais et que j'aime depuis plus de douze ans, comme ça, pour un œil … C'est évident que la situation est au-delà de son œil, mais le déni, le refus, le choc. A force d'attendre je bouillonne, je n'arrive pas à retenir mes larmes. J'appelle. Je demande rdv, assez rapidement. Je n'ai pas voulu le faire avant le week-end, parce que l'équarrissage ne passera pas avant la semaine prochaine. C'est trop long. On a besoin d'un sursis, mais pas trop long. L'assistante au téléphone est perplexe, gênée, un peu triste aussi. La date tombe. Mardi. Mardi 01 Octobre 2024. 8h30.
J'accepte avec une voix de refus, je suis presque agressive, comme si c'était de sa faute. C'est de notre faute, pas de la sienne. Je la remercie avec du mal, je raccroche, on pleure.
On a 5 jours de sursis. Alors, pendant ce temps, je prépare des rations de roi. Je lui donne à manger plus que nécessaire, nous lui achetons des kilos de carottes, allons ramasser des kilos et des kilos de pommes. Elle dévore. Elle prend du plaisir à manger. Elle appelle, elle ne voit rien, elle se perd dans son parc. Elle nous entend parfois, pas toujours. Ses membres la portent à peine. Elle avance par manque d'équilibre. Elle mange. La couverture n'est pas sale, elle ne se couche pas, elle ne se couche plus. La tête vrille parfois, quand la douleur se lance, et puis elle s'éloigne dans le parc, perdue. Cinq jours où on doit vivre avec l'idée qu'on la tuera, dans quelques paires d'heures. Parce qu'on le sait. On attend, comme dans le couloir de la mort …
Le samedi matin, je suis en repos, chéri ramène un carton. Il y a un chaton, tout maigre et froid, rouquin. « On va perdre un cheval, on peut bien sauver un chat ». Je pleure. Il s'appellera Jaune Caffee. Comme le café. Comme dans le couloir de la mort.
On ne dort pas beaucoup. Le mardi matin, il y a une éclaircie dans le ciel. Golfite a deux sceaux ce matin. Un avec ses aliments et du sucre. L'autre avec une dizaine de carottes et une quinzaine de pommes... et du sucre. Le repas du condamné. On la regarde, on va la caresser mais pas trop.Par moments on pleure. Puis on parle de souvenirs. Flip vient nous voir puis repart. On installe le sas, pour le vétérinaire. On attend. L'attente est un espoir lourd de mensonge.
Quand l'heure arrive, l'homme va aux devants du vétérinaire pendant que je reste avec Golfite. Je m'effondre contre elle. Elle se laisse faire,elle qui refuse câlins, bisous, d'être serrée contre nous... Elle est immobile, la tête s'abaisse. Elle accepte son sort comme on doit accepter le nôtre. Quand ma crise de larmes se calme, je l'amène difficilement dans le Sas. Dans lequel je découvre son corps amaigrit, fragile, faible. Il n'y a plus rien de ce qu'elle était. Ses membres sont douloureux, elle ne tient pas en place, elle manque de chuter parfois. La bruine s'abat sur nous comme un couperet. Le temps s'allonge. Je voudrais que cette fois-ci, on en finisse. Parce que c'est trop long, parce que c'est trop douloureux pour nous tous et toutes. Parce qu'on n'a plus le choix...
Le vétérinaire arrive avec l'étudiante qui était déjà venue les deux dernières fois. Je n'ose pas croiser leurs regards, on se salue. Dr G. caresse la jument, la salue et prépare. La jeune femme prépare le cathéter, lui enfonce l'aiguille qui me semble énorme, le vétérinaire fait de même avec une autre aiguille, ça saigne fort, il bouchonne. Je caresse la jument, je lui parle, elle semble comprendre et elle attend, sans bouger, elle respire calmement. Elle est très calme, c'est un moment extrêmement difficile mais particulièrement doux. Le vétérinaire m'explique qu'il va la sédater. Chéri tient le bidon en l'air, Dr G. prend la jument. Et on la voit, s'endormir. J'ai peur qu'elle se lâche d'un coup mais non, elle s'assoit très précautionneusement avant d'étendre ses antérieurs, poser la tête au sol. Je m'assois avec elle, je la caresse, je lui parle, je suis là jusqu'au bout. Je pleure moins, sa respiration ralenti. Dr G. me prévient qu'il va injecter le liquide létal, je lui dis d'accord, je caresse ma jument, l'embrasse, il me demande si c'est bon pour nous. Le produit s'injecte … Je trouve ce moment si long, si étiré, alors que ce n'est que quelques minuscules secondes. Ma jument est morte, dans mes bras, dans le calme, contre la chaleur de mon ventre.
Après des dizaines de minutes à pleurer et à la câliner, j'ouvre le sas. Pour que les autres puissent voir, constater, vivre le moment, comprendre l'état de décès. Tartine ne vient pas, je dois aller la chercher mais elle ne reste pas... Je ne force pas. Poney lui est très présent, il la mord, à plusieurs endroits, fermement, avec brutalité, il lui soulève les postérieurs avec les dents, la pousse avec sa tête. C'est long, c'est violent. Il fait comme il peut. Quand il comprend il s'en va...
Alors on doit gérer. Tout. On rentre à la maison et la première chose très pragmatique, c'est l'équarrisseur. Je vais sur le site, je lance une demande. Je sélectionne le lieu, la région, le type de cheval, le N°siret, on me balance vers ma banque pour le payement … Je paie. Ils viendront sûrement le Jeudi. S'ils peuvent. C'avait duré près de dix jours pour Nina, je ne m'attends pas à des miracles.
On rentre les deux autres au paddock, parce que le plus difficile est à faire : Une sangle, le tracteur, on ouvre la porte du parc. On doit tirer la jument. J'ai mal au ventre, je veux vomir, je pleure sans m'arrêter, j'ai le cœur au bord des lèvres. On essaie de faire ça doucement, délicatement, au mieux. Elle gonfle déjà, les sangles sont tendues au bout de ses membres, sa tête et son encolure se contorsionnent … La bâche est prête, je dessangle les membres, je tire la bâche, on met des pitons. Et on couvre, de foin, comme on couvrirait un caveau de terre. Les larmes me brouillent la vue et le pilote automatique est de rigueur. J'ai le feu dans l'estomac et son contenu dans la gorge.
Tout cela, en 4h de temps. Tout cela, en une mâtinée, sous la bruine, sous le vent, dans un silence de mort, une ambiance de deuil. Sur un fond de douleur. J'ai vécu la mort de ma jument en une mâtinée. Il me faudra des mois pour me remettre de cela. Il me faudra de l'énergie, du temps, de la force pour continuer pour les autres animaux. Pour m'excuser d'avoir pris la décision, d'avoir appelé, m'excuser de tout et en même temps, m'excuser moi-même d'être dure avec moi. Me pardonner. Nous pardonner, de vivre encore.
Il aura fallut de quelques minutes pour éteindre 37 longues et belles années de vie . Pour endormir à jamais des milliers d'heures de balade, des milliards de câlins et de bisous, des dizaines de milliers de souvenirs plus ou moins beaux. Je ne sais pas combien de temps dure la mort, mais la vie est toujours trop courte pour savoir en profiter vraiment.