Amnésie totale, je l'ai vécue. J'avais onze ans et demi, j'étais encore dans la passe difficile des premières montes à cheval (j'étais à poney avant ça).
On m'a refilé un jeune que personne dans la reprise n'arrivait à gérer et qui avait déjà envoyé une personne à l’hôpital (je loue encore l'intelligence de mes monos).
Pendant longtemps, je ne me suis pas rappelée cette journée. Quand les pompiers sont venus me chercher, je ne connaissais même pas mon propre nom. Je ne savais plus rien. Les seuls souvenirs que j'ai gardé dès le départ ce sont les mains pleines de sang de mes mono qui essayaient de contenir l'hémorragie en attendant les pompiers.
Et d'avoir balancé un très intelligent "maman, les pompiers ils sont tous moches" en rigolant, alors que ma mère n'était même pas là
Je me suis réveillée plusieurs heures plus tard en réa. Je ne me souvenais de rien du tout, mais ça ne m'empêchait pas de demander comment allait le cheval. Je me souvenais lui avoir flingué la bouche.
J'ai mis deux jours à réussir à retenir son nom : Bertho.
Encore aujourd'hui, j'ai une mémoire à court terme plutôt défaillante. Bon, ça s'arrange avec les années.
Des années, j'en ai mis quelques unes, mais j'ai retrouvé les images de cette journée ^^ Je me souviens m'être dit que j'allais douiller ma race. Bertho était connu pour être un hystérique intenable. Avec moi, au début, il était au tout petit trot. Le genre de petit trot qui vous fait faire vos prières parce que vous sentez la machine se mettre en route entre les oreilles du canasson.
Je ne me souviens pas de tout, évidemment. Juste des moments les plus forts. Celui dont je viens de parler, et bien sûr, celui précédent la chute.
Dix minutes avant la fin de l'heure.
Histoire de bien mettre la rage xD
Énième départ en ruades, coup de cul et écarts. J'étais littéralement crevée, j'en pouvais plus. Morte de fatigue. Mais lui aussi. À un moment, je l'ai senti jeter l'éponge. Il en avait marre. Il s'était déchainé pendant une heure, et j'avais tenu plus fort qu'une moule à son rocher.
Sauf que je ne m'attendais pas à ce qu'il repasse soudain à un petit galop fatigué

J'ai été déséquilibrée, et j'ai fini accrochée à la selle.
J'ai calculé les options qui me restaient. Je m'étonne encore de mon pragmatisme dans ce genre de moment.
Tomber sur le côté ? Impossible. Les monos avaient placé les chandeliers le long de la piste, côté intérieur. Je ne me sentais pas de viser dans la position où j'étais.
Sauter derrière le cheval ? Impossible. On galopait deux par deux, et un énorme SF nous rattrapait. Il n'aurait pas le temps de s'arrêter et les chandeliers l'empêcheraient de faire un écart.
Dernière solution, remonter en selle. J'avais la tête en bas, je peinais littéralement à l'horizontal, et j'ai commencé à me redresser comme je pouvais.
C'est là que le cheval a compris ce qu'il se passait

À partir de là, c'est le noir complet. La suite, je la connais parce que les témoins me l'ont raconté. En me sentant remonter en selle, Bertho a réuni toute l'énergie qui lui restait, et a envoyé une ultime ruade qui m'a touché en pleine tête.
Traumatisme crânien ouvert.
Encore aujourd'hui, mon crâne est déformé à cet endroit (invisible si on ne touche pas, heureusement), et la zone est très sensible. Il suffit d'une tape à cet endroit pour que le choc me mette dans tous mes états sans que je puisse contrôler mes tremblements.
À un millimètres près, selon le toubib, j'étais défigurée. Je n'y ai jamais cru, mais maintenant que j'ai fini de grandir, je comprends pourquoi il a dit ça. Maintenant que mon crâne est adulte, la cicatrice est visible sous la racine des cheveux.
À trois millimètres près, mon crâne explosait.
Je portais une bombe, je précise. Et on voit à peine l'impacte sur ladite bombe. À peine le velours en est-il légèrement usé.
De là, j'ai longtemps gardé une peur presque phobique des chevaux bais clairs ainsi que des... Philippe
Quatre ans plus tard, on m'avait proposé assigné un cheval bai clair à monter dans mon nouveau club. J'ai fondu en larmes en tremblant, et j'ai préféré ne pas monter et rentrer chez moi.
Ce qui me fait le plus rire dans l'histoire, c'est qu'à l'époque, je me suis dit "et con comme je suis, le jour où je m'achèterai un cheval, il sera bai clair".
Bah ça a pas loupé.
Tout ça pour dire, même si ça met plusieurs années, c'est pas impossible de retrouver ses souvenirs