Merci pour l'ouverture de ce sujet très intéressant.
En tant que monitrice (même si ce n'est pas mon activité principale), je m'intéresse beaucoup aux activités equi-handi. A l'heure actuelle d'ailleurs j'enseigne uniquement auprès de personnes en situation de handicap. Je trouve que c'est une approche très intéressante car cela nous amène, en tant que valide, à voir les choses sous un autre angle, à ressentir les choses différemment, et c'est très enrichissant.
Je ne suis pas du tout branchée compétition, que ce soit en tant que personne/cavalière, ou en tant qu'enseignante, et vraiment "mettre la pâtée" (pour reprendre une expression qu'il me semble avoir lue dans un message) à qui que ce soit, ou apprendre à mes cavaliers à le faire, ne fait pas partie de mes objectifs, ni de mes valeurs! (mais d'autres le font très bien, et c'est parfait comme ça)
Ce qui m'intéresse dans mon boulot, c'est d'être un passeur, la personne qui va permettre que s'établisse la relation, que se fasse le lien, entre le cavalier et le cheval. Et avec les personnes en situation de handicap, cette relation va parfois emprunter des voies originales et surprenantes qui enrichissent beaucoup mon regard et la connaissance que j'ai des chevaux en général (et des miens en particuliers) Je peux vraiment dire que mon travail auprès des personnes en situation de handicap m'a fait évoluer et m'a appris beaucoup de choses en tant que cavalière et femme de cheval, c'est pour ça que je suivrai ce post et vos retours d'expérience avec intérêt.
Par exemple, le fait de travailler avec des personnes handicapées mentales m'a obligée à me centrer +++ sur les sensations : ne pouvant pas faire appel à la logique, à la rationnalité, parfois même aux mots pour expliquer les choses, il faut passer par d'autres canaux, très fins, qui m'obligent à être très attentive aux réactions du cheval et du cavalier, à accompagner plus qu'à asséner, à être très à l'écoute.
Moi qui avait tendance à être beaucoup dans le verbiage, j'ai appris à travailler en silence ou dans l'économie de mots, et c'est très intéressant car ça laisse plus de place à d'autres types de langage.
Je dois souvent militer assez activement auprès des encadrants ou des accompagnants des cavaliers en situation de handicap qui me sont confiés pour qu'ils respectent ce silence et ce calme... Ils savent que c'est ma marotte, et même s'ils ont un peu de mal, ils finissent par s'y faire quand il voit que ça marche et que nous avons des résultats.
Récemment par exemple, j'ai eu en cours une petite fille poly-handicapée non voyante. Son éducatrice, assez fusionnelle avec elle, ayant entendu dire beaucoup de bien sur le bénéfice que la petite pourrait trouver au contact des chevaux, a passé la première séance à vouloir "forcer" ce contact (gentiment bien sûr, mais c'était infernal : "touche le poney... tu vas sentir comme il est doux... allez, viens caresser le poney, il est gentil..." non stop pendant 1h). La gamine était totalement en retrait et réfractaire.
La séance d'après, j'ai décidé qu'on allait jouer au roi du silence (oui, c'est un pari risqué avec une enfant non-voyante avec qui je n'avais par définition pas de contact visuel), mais l'idée c'était de travailler sur les sensations : le toucher, les odeurs, les bruits... et pour entendre les bruits du poney, il faut bien que les humains ferment leur grande bouche, à un moment! Et bien ça a marché. A la fin, la gamine était en totale osmose avec son poney et ne voulait plus le lâcher. Son educ m'a dit "mais comment vous avez fait? Vous ne lui avez rien dit!"... mais si en fait, il s'est dit beaucoup de choses dans cette séance, parce qu'on a laissé la place pour que la relation humain-poney se crée, et cette relation ne passe pas (forcément) par les mots...
Je travaille avec des personnes porteuses de différents types de handicap. Je suis vraiment passionnée par l'approche des handicaps sensoriels (je suis moi-même déficiente auditive, donc sensisilisée à la question), ainsi que par les troubles neuro ou mentaux qui interrogent nos modes de communications.
Une de mes grandes frustration c'est de n'avoir que trop peu d'outils pour accompagner les personnes en situation de handicap moteur.
J'ai eu l'occasion en stage d'expérimenter les dispositifs de type équilève ou handi mobile equitation (avec une préférence pour ce dernier système, qui offre je trouve plus de possibilités), et des selles ou aménagement de selles type hippo lib, et je trouve que ce sont vraiment des outils très riches, mais leur coût est prohibitif pour des petits centre comme le mien (impossible à rentabliser, ni même à amortir)
Les subventions sont souvent dérisoires par rapport au coût réel du matériel.
Pour moi, une des seules solutions viables pour permettre au maximum de personnes d'en bénéficier, serait que les CRE investissent dans ce type de matériel et le mettent à disposition des clubs en fonction d'un planning pré-établi (le CRE des Alpes-Maritimes mène une expérience de ce type)
Pour l'instant, et faute de matériel adapté, je suis limitée dans ce que je peux offrir aux personnes en fauteuil. Mais j'ai quand même la chance d'avoir des chevaux très bien codés à pied, ce qui laisse pas mal de possibilités : j'ai un cavalier tétraplégique par exemple qui prend beaucoup de plaisir à travailler à la voix, ensemble on a beaucoup affiné les codes vocaux avec un des chevaux dont je dispose pour ce travail et à l'heure actuelle il est capable d'obtenir des transitions très fines en liberté (type galop-arrêt, ou pas-galop), ou certaines figures simples (jambette) uniquement à la voix, sans aides corporelles ni regard (le sol du rond de longe est trop profond pour que le fauteuil puisse tourner aussi vite que le cheval, donc il travaille en restant fixe et uniquement à la voix quand le cheval est dans son dos), il est vraiment passionné et passionnant.
Bref, je pourrais en parler des heures, mais je ne veux pas monopoliser le post.
Une dernière chose : je ne sais pas si c'est parce que c'est un petit club familial, mais en tout cas chez nous il n'y a pas "d'extra-terrestres" : cavaliers valides et handicapés se côtoient sans soucis et partagent naturellement leurs expériences (par contre globalement, et pour différentes raisons liées à notre approche des chevaux ou de l'équitation, et même des humains, on passe globalement pour des extras-terrestres auprès des autres club de la région... donc peut-être qu'on est forcément l'extra-terrestre de quelqu'un à un moment donné

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