Ce soir le couperet est tombé : tu vas partir, ma pépette, nos chemins se séparent demain.
Je verse toutes les larmes de mon corps et de mon coeur, et j'ai beau me dire qu'à mon âge, c'est parfaitement ridicule de réagir comme une ado de Grand galop, je sais qu'ici, peut-être, il y aura des gens pour comprendre cette étrange amitié, et pour savoir qu'être séparée d'un cheval qui a partagé un peu de notre vie, c'est un vrai chagrin d'amour.
J'ai toujours su que ce moment arriverait, je me suis exortée à ne pas m'attacher. Cette blague!
Il y a un an, j'étais une cavalière en mal d'équitation, tu étais une jument en mal de cavalier, ça semblait arranger tout le monde qu'on fasse un bout de route ensemble alors j'ai dit : pourquoi pas? Sans grande conviction au début, je trouvais que tu n'étais pas mon style... mais ton style s'est imposé à moi, tellement naturellement. Au bout de quelques semaines à peine les gens nous prenaient pour un vieux couple.
On nous disait si souvent qu'on allait bien ensemble.
Tu m'as redonné confiance, redonné l'envie de monter, de chercher, de progresser, d'aller plus loin à tes côtés.
J'espère t'avoir rendu un peu de cette générosité : en tout cas, je sais que tu es devenue plus sereine, plus posée, plus confiante toi aussi.
On a fait tellement de chemin, toutes les deux.
J'aurais tellement aimé marcher un peu plus longtemps à tes côtés.
Alors ce soir, je voudrais juste te dire à quel point je suis heureuse d'avoir partagé ces moments avec toi, te dire combien je suis fière que tu m'aies accordé ta confiance, te demander pardon de toutes les fois où je n'en ai pas été digne.
Mais surtout te dire merci.
Merci de tout ce que tu m'as donné, ma jolie pépette.
Merci de tout ce que tu m'as appris.
Merci d'avoir touché mon coeur, même si aujourd'hui il est en miette de ton départ.
Merci de tout ce que tu m'as offert : c'est une poussière d'étoile qui illuminera mon ciel pour toujours.
Je prie, je rêve, pour qu'on se retrouve un jour, ici ou ailleurs, que nos routes se croisent à nouveau. En attendant je vais espérer très fort que les humains qui sont maîtres de ton destin se montrent dignes de toi.
Tu le mérites tellement.
Demain, je viendrais une dernière fois mettre ma joue au creux de ton encolure. On ira marcher dans le maquis, tu t'arrêteras pour brouter au soleil, et je poserai mes bras et ma tête sur ton dos comme je l'ai fait si souvent. Ou je m'assierai simplement près de toi, et tu viendras poser ton nez dans mes mains en soufflant pour réclamer un gratouille, une carotte ou juste un peu d'attention, et on restera là, toutes les deux, simplement, à parler en silence.
Et puis je te ramènerais dans ton paddock et je te dirai aurevoir. Je ne serai pas là quand tu monteras dans le van, ne m'en veux pas, ce serait au dessus de mes forces.
Et je jurerai par tous les dieux de ne plus jamais m'attacher à un autre cheval que le mien après ça. Mais on sait toi et moi que c'est une promesse que je ne saurais pas tenir.
Tant pis pour mon petit coeur en miette.
Mais tant mieux parce que sans ces rencontres, et sans ces chagrins, la vie serait moins belle.
Merci pour tout, ma toute belle. Merci pour toi.
