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50 nuances de grey
Posté le 13/02/2015 à 19h09
Je vous reposte la critique d'un ami, grand amateur de films, critique que j'approuve totalement.
Je me suis toujours juré de ne jamais mettre 0 à un film. Parce qu’un film, aussi mauvais soit-il, c’est toujours un minimum de travail, d’écriture, de réalisation, de post-production, et beaucoup de personnes qui ont transpiré pendant des mois. Alors 1, c’est la courtoisie minimale, la reconnaissance la plus basse pour une tâche effectuée, même très mal. Mais là, même 1, c’est déjà trop. Note sanction.
Cela fait bien longtemps maintenant que je n’avais pas autant souffert au cinéma. Je parle de réelle souffrance, d’une envie incommensurable de partir, de déserter la salle, de fuir le massacre, de quitter la bataille avant l’heure. Mais, au même titre que j’ai du mal à mettre zéro, j’ai une sorte de conscience professionnelle ou artistique qui me pousse à ne jamais, jamais quitter une salle de cinéma avant que le film se finisse, parce qu’il faut laisser la parole au réalisateur jusqu’à la fin, comme un accusé qui passe à la barre. Et là, l’accusé, faut l’envoyer au cachot, minimum.
Je sais qu’avec cette note et ce démontage en règles, je vais froisser beaucoup d’amiEs, sans doute, et je vais me mettre à dos toutes les fans de Christian Grey, mais tant pis.
Je suis allé voir 50 Nuances par curiosité, parce que je n’ai pas lu le « roman », et parce qu’il faut parfois savoir vérifier par soi-même l’objet de tant d’hystérie. Déjà, pas déçu, la salle était remplie, mais remplie par 90% de filles entre 12 et 18 ans, pour caricaturer un peu. Mais c’est une bonne chose, ça permet de se rendre compte de leur réaction devant le film, et d’essayer de voir ce qui les émoustille autant. Autrement dit, un peu tout et n’importe quoi, enfin surtout n’importe quoi.
La question que je me suis posé devant ce film, la principale en tout cas, c’est : « Mais où est donc passée la fierté des femmes, leur dignité ? Comment peuvent-elles décemment accepter qu’un roman et qu’un film aussi surmédiatisé dresse un portrait si dégradant de la femme ? »… Dans 50 Nuances, la femme devient objet, devient jouet, devient poupée, devient esclave. Pour un prétexte qui n’en est pas un, la femme est sensée accepter d’être une simple chose, qui obéit au doigt et l’œil. Je ne suis pas une femme, et pourtant qu’est-ce que j’ai souffert quand la voix de Christian Grey lit les articles du contrat à voix haute un par un : « La SOUMISE ne touchera jamais le dominant… La SOUMISE désignera le dominant par ‘‘ Oui Monsieur ’’… La SOUMISE blablabla…ect », et ce pendant deux bonnes minutes. Et il y a donc autant de femmes dans le monde qui jubilent d’excitation devant un homme qui ne désigne ses femmes-objet que par le terme « La SOUMISE » ? Etrange.
Alors oui, il faut le reconnaître, la romancière et donc la réalisatrice servent à ces dames l’objet de tous les fantasmes ; Christian est effectivement beau, richissime, élégant, doué d’un goût certain pour la décoration, bel orateur, ténébreux, mystérieux et donne l’air d’être inaccessible. Et cet homme peut s’obtenir, mais à quel prix ? Un prix unique, qui ne change jamais et qui n’a jamais varié avec les dizaines de femmes qu’il a accueillies chez lui : la soumission, absolue et totale. Et donc, sous prétexte que cet homme a tout pour lui, absolument tout en l’occurrence, cela justifierait que la femme fasse « ce petit effort », la soumission physique totale ? Accepter d’être fouettée, battue, dénigrée, commandée, réduite au silence ? Accepter de n’avoir aucune autre activité avec cet homme que le sexe sous son apparence la plus animale et la plus vulgaire ? Car oui, Christian Grey, tout gentleman soit-il, ne fait rien d’autre avec une femme que de l’emmener dans sa salle de jeu, autrement dit une salle bien morbide qui s’apparente plus à une salle de torture corporelle qu’à une salle de plaisirs charnels. Une salle qui n’aurait pas fait tâche dans Seven, une salle qui si elle n’appartenait pas à Grey mais à un lambda sans le sous, suffirait à l’envoyer en prison ou en hôpital psychiatrique. Mais là, cette salle sordide appartient à un PDG milliardaire et elle se trouve au beau milieu d’un appartement de rêves, alors « ça passe »…
En-dehors de toutes ces considérations morales et éthiques, qu’en est-il des 50 Nuances de Grey en tant que simple œuvre cinématographique ? Le néant, ou presque.
2h05, que ça peut paraître long et interminable ! Certains films qui durent trois bonnes heures donnent l’air de ne durer qu’une heure, mais celui-là semble durer quatre heures complètes. Rien, il ne se passe rien. En tout cas, rien qui ne soit un tant soit peu intéressant. Pourtant, qu’on se le dise, je n’ai rien contre les belles histoires d’amour au cinéma, même si là on ne parle pas d’amour, mais disons que la relation entre un homme et une femme ça peut être magique dans un film, en de très rares cas mais ça existe. Là, il n’y a pas grand-chose à voir malheureusement. Pendant deux longues heures, Christian et Anastasia ( Ana pour les intimes ) occupent la totalité des plans du film, et ils ne parlent de rien, ou plutôt que d’une chose absolument tout le temps : ce contrat de soumission sexuelle, physique et morale que doit signer Ana pour que Môôôsieur Christian Grey puisse disposer d’elle de toutes les façons sans craindre de se retrouver en prison, en gros. Je caricature à peine, mais toutes leurs conversations tournent plus ou moins autour de ça : les conditions du contrat, pourquoi ce contrat, à quand la signature, à quand une vie sans contrat, qu’est-ce qui empêche la petite Ana de signer blablabla… Autrement dit, on s’en fout, mais ça occupe tout le film.
Là où le bât blesse et que le film tombe définitivement dans la médiocrité absolue, c’est lorsqu’on constate avec effroi la non-complicité des acteurs. Pour un film qui parle de chaleur, de chair, de rapports charnels torrides et de tout ce qui tourne autour de la sexualité, c’est paradoxal. Au contraire de ce qu’on nous vend sur les affiches et dans la B-A, le film est d’une froideur sans nom, le rapport entre les deux acteurs semblent ne jamais avoir été établi. On ne sent jamais aucune alchimie entre les deux, un gouffre paraît les séparer, aucune magie, aucune attirance profonde ne s’installe entre eux. Quand d’autres films instaurent une complicité folle entre un homme et une femme par un simple sourire ou un simple regard, ici on use de tous les stratagèmes possibles pour donner l’illusion d’une attirance corporelle entre ces deux personnes, mais ça ne marche jamais.
Dakota Johnson en particulier ( qui joue Ana ) paraît complètement vide et perdue dans cette farce interminable. Elle surjoue tout, n’imprime aucune crédibilité à son personnage et ne donne jamais l’impression d’être réellement attirée par ce Grey. Ah si, bien sûr, elle se MORDILLE LES LEVRES ! Mais genre, 50 fois dans le film ! Et on a le droit à des très gros plans sur ses lèvres comme pour nous dire : « Hey, regardez !! Regardez elle est excitée ! Elle est attirée !! »… Alors ça, du mordillement de lèvres, on en a partout, à toutes les sauces, tout le temps, bien visible, et ça rend le truc bien artificiel et bien grossier. Je suis sûr qu’il y avait un mec sur le tournage qui claquait des doigts toutes les trois minutes pour dire à l’actrice « Mordille tes lèvres ! »… Consternant.
La réalisatrice se croit intelligente et très subtile avec ses métaphores étalées partout dans le film avec la grossièreté d’un éléphant dans un magasin de porcelaine… Au bout de cinq minutes de film, on a un très gros plan d’Ana qui se met un crayon de papier dans la bouche, et c’est écrit GREY en gros sur le crayon. Waouh, seuls les esprits les plus perspicaces comprendront de quoi la suite du film va traiter…
J’ai appris en plus entre temps que la romancière, E.L James, avait eu un droit de regard très important sur toute l’écriture du film et qu’elle avait veillé à ce que le film se rapproche au maximum de son premier tome. Et apparemment, le film est effectivement très fidèle au roman original. Ça en dit long sur la qualité littéraire du truc… Un roman de gare écrit par une amateure qui est qualifié de littérature alors qu’il n’en est rien, et tout ça vendu à 100 millions d’exemplaires. Triste littérature…
Sinon, le film se finit presque là où il a commencé : Christian a initié Ana à ses pratiques sexuelles bien spéciales, et Ana n’a toujours pas signé le contrat. Ils se regardent, « Christian », « Ana », et la farce cesse sur un ascenseur qui se referme… Ouf de soulagement, et flot d’insultes en pagaille dans la tête à l’égard de ceux qui ont fomenté cette vaste arnaque.
Le pire, c’est que même l’immense Danny Elfman, compositeur de génie qui siège au milieu des tous meilleurs compositeurs de tous les temps, ne parvient pas à sauver les choses avec au moins un ou deux morceaux marquants… Non, même la B-O est carrément anecdotique, si ce n’est deux remix sympas de Beyoncé.
Bref, le film le plus médiatisé de ces dernières semaines est un naufrage monstrueux. Une torture de deux heures. Une souffrance. Une insulte au cinéma. Une injure à la dignité et à la fierté de la femme. Une vulgaire tentative de faire croire à des pauvres filles de 14 ans que se faire fouetter et maltraiter par un psychopathe obsédé c’est bien, mais seulement si le psychopathe en question est beau, riche, séduisant et qu’il a tout pour plaire.