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Jeunes Propriétaires : Partage !
Posté le 03/08/2023 à 09h57
Je me permets de venir squatter votre échange sur l'anxiété chez le cheval, étant moi aussi anxieuse (quoique ça va beaucoup mieux grâce au travail sur moi-même que m'a fait faire Pastor), avec un cheval anxieux, et étant partie sur le chemin du comportementalisme et de la neuropsychologie du cheval pour adresser nos problèmes.
Un cheval qui vit de l'anxiété de séparation, c'est un cheval qui craint pour sa vie. Je pense que c'est un niveau de peur qu'on connaît assez rarement en tant qu'humain, et on a du mal à entrevoir ce que ça peut représenter comme ressenti. Je pense que quand on a déjà fait de vraies crises de panique incontrôlées, on s'approche probablement du type de peur que ressent le cheval. D'un point de vue "sensation", on ne peut pas dire si le cheval vit les choses comme nous, en revanche, au niveau du cerveau, ce qui se passe est vraiment très similaire entre l'humain et le cheval. Le parallèle n'est donc pas tiré par les cheveux.
Le cerveau (le notre, le leur) s'optimise pour les fonctions qu'il doit remplir le plus souvent. Pour faire court, plus un cheval à peur (intensité, fréquence)... plus le cerveau va optimiser les circuits neuronaux de la peur. Donc plus on amène un cheval dans une situation au-delà de son seuil de tolérance, plus on va en faire un cheval craintif (à moins d'aller dans l'immersion et la résignation, mais je pars du principe que personne ici ne veut amener son cheval là-dedans).
De ce point de vue, je rejoins entièrement Cavalierevendee sur le fait d'en faire moins et d'exiger moins quand le cheval est déjà dans le rouge. Le niveau de stress est déjà bien trop important pour rajouter des stimulations là-dedans, c'est une cocotte minute prête à exploser, et c'est pas étonnant que les chevaux alors arrivent dans des situations où ils bousculent, perdent la tête, ont des comportements dangereux pour eux et pour l'humain.
Monter en phase, ça peut marcher, certes, mais c'est pas fonctionnel à long terme. Ca n'aide pas le cheval à devenir résilient, à mieux vivre ces situations. Avec une montée en phase, on attend du cheval qu'il puisse faire une apprentissage opérant (stimulus - réponse - renforcement), alors que la peur est typiquement un apprentissage répondant (stimulus - réponse). Avec un tel niveau de stimulation et d'alerte, les liens neuronaux qui se font vont uniquement être la peur, et à aucun moment la réalisation que "oh en fait, il ne se passe rien". Le cheval n'a pas la capacité cognitive de réaliser après coup qu'il ne lui est rien arrivé et de rationnaliser sur la situation. Ca a fait peur, c'est tout.
La plupart des cavaliers galèrent avec les problèmes d'anxiété, car nos cerveaux rationnels analysent ces situations beaucoup plus vite. Nous sommes bien meilleurs pour catégoriser et généraliser les situations, par rapport aux chevaux pour qui le moindre détail est une différence d'importance vitale. On va souvent trop vite pour eux, on brûle des étapes, ce qui les empêche de développer de la résilience.
De mon point de vue, la clé, c'est attendre. Prendre le temps, ralentir, en demander moins. Avec Pastor, il m'arrive encore parfois de prendre mille ans pour remonter du pré car il se met en alerte tous les trois pas. C'est pas grave, s'il s'est mis en alerte, c'est qu'il a une raison. Alors j'attends qu'il se détend, et on repart. Plus le temps passe, plus ces moments sont rares, et plus il se détend rapidement, car à chaque fois que c'est arrivé, il a pu vivre le cycle complet de "oh oh attends là y a un truc - oh non en fait c'est rien - oh ok je suis reparti et il ne m'est rien arrivé".
Avant (et jusqu'à cet hiver), il avait encore souvent tendance à dépasser ses limites, me suivre sans imposer les pauses nécessaires, donc il accumulait plein de petits éléments de peur. Indépendamment, aucun de ces éléments n'étaient "graves", mais accumulés, ils menaient à l'explosion. J'ai appris à l'observer et à tout interrompre dès qu'un signe de crainte se faisait remarquer (typiquement, le forme de l'oeil qui s'accentue ou la lèvre supérieure qui pointe au devant de la lèvre inférieure), et à ATTENDRE. Au début c'était dur pour lui, il était encore beaucoup dans la fuite en avant, genre "non non c'est bon, on continue, on va aller voir plus loin si c'est pas mieux" (sauf que non, en fait). S'il voulait bouger, il pouvait me tourner autour autant qu'il voulait, mais on gérait cette situation-là avant de passer à la situation 1 mètre plus loin.
En parallèle, j'ai construit des exercices refuges dans des situations où il se sent bien, et qui me permet de ramener son attention sur le "ici et maintenant" dans des situations plus critiques. Typiquement pour nous, c'est le ciblage d'un objet avec le nez ou la jambette. J'aime beaucoup la jambette dans ce contexte, car c'est un exercice de proprioception qui suppose que le cheval soit "dans son corps", qu'il ait conscience d'où son ses pieds et comment organiser son corps. Avec Pastor c'est super efficace quand il a peur d'un truc "là-bas".
Je ne pratique pas la montée en phase, comme le dit aussi très bien Cavalierevendee, c'est souvent une façon aussi de décharger notre frustration et notre propre incapacité à gérer notre stress dans la situation. Mes intitulés sont "une leçon d'ancrage" pour cette raison, refuser de me décharger sur mon cheval m'a appris à m'ancrer dans la situation, et devenir une vraie référence pour lui. J'accepte sa peur, et je l'honore, je la rends entièrement acceptable, je l'écoute et je gère cette situation avec lui, plutôt que lui imposer la réaction qu'il devrait avoir. S'il faut, je mets pied à terre, je vais investiguer le truc moi-même ou je le regarde intensément pendant 5 secondes avant de hausser les épaules et m'en détourner, en disant "Oh non, moi je pense pas que ça fait peur ce truc-là". Le verbaliser m'a beaucoup aidée à adapter mon énergie et mon émotion à ce que je voulais transmettre à Pastor.
Ca a vachement renforcé notre lien, il a beaucoup plus confiance en mes décisions maintenant, et il porte énormément d'attention à ma présence. Dernièrement, il a eu deux mini-fuites quand j'étais très proche de lui et il y a eu contact. Il a senti mon appui, s'est organisé pour m'éviter avant de revenir se planquer derrière moi.
C'est un travail long et mentalement assez brutal pour l'humain je trouve. Personnellement, j'ai vraiment trouvé ça dur, mais ça m'a aussi énormément changée en tant que personne, et les humains autour de moi en bénéficient aussi. Je suis plus empathique, plus équilibrée au niveau de mes émotions, j'accepte mieux mes limites et celles des autres. En apprenant à vraiment écouter mon cheval, j'ai appris à m'écouter moi, en fait.