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Equitation et corona virus
Posté le 25/04/2020 à 21h17
Merci Sophie Nck
Ce point de vue apporte des réponses aux propriétaires et gérants. Lisez jusqu'à la conclusion.
Les conditions du Communiqué du Ministre sur l'accès des propriétaires aux centres équestres
Point de vue d'un Professeur de droit à la Sorbonne
On a beaucoup entendu les Professeurs en médecine s'exprimer. Il faudrait maintenant écouter un peu les Professeurs de droit. Les premiers gèrent la crise sanitaire qui nous touche, les seconds, avec l'ensemble des professionnels du droit, en géreront les conséquences juridiques pendant les dix années à venir.
Par Sophie Nicinski, Professeur de droit à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Directrice du Master 2 Droit Public des affaires de l'Ecole de Droit de la Sorbonne, Directrice du Magistère de Droit des activités économiques de l'Ecole de droit de la Sorbonne, Expert près la Commission européenne, Consultante juridique.
Avant-hier, le Ministre de I' Agriculture a publié un communiqué de presse autorisant les propriétaires d'équidés à se rendre dans les centres équestres pour nourrir et soigner leurs animaux.
Les nombreuses questions et réactions que ce communiqué a suscitées appellent les réponses juridiques suivantes :
A quelle condition les propriétaires peuvent se rendre dans le centre équestre qui héberge leur équidé ?
Le texte est clair et les mots se suffisent à eux-mêmes: « si les centres équestres ne peuvent pas assurer eux-mêmes la totalité des soins».
Cela ne signifie pas qu'il faudrait démontrer que le centre équestre est en faute, ou a commis des manquements, mais tout simplement que s'il assure depuis déjà plusieurs semaines l'entretien des équidés, et de manière satisfaisante dans la plupart des cas, il n'est pas en mesure d'assurer la TOTALITÉ des soins, c'est-à-dire la sortie quotidienne, le pansage et les soins de TOUS les chevaux, TOUS les jours. C'est une condition rédigée avec du bon sens, permettant un retour progressif à la normale, afin de commencer à soulager les dirigeants et leur personnel.
Quelles activités les propriétaires peuvent-ils exercer dans les centres équestres ?
Là encore, le texte est clair et se suffit à lui-même : « nourrir, soigner ou assurer l
'activité physique indispensable à leurs animaux». Si le fait de nourrir ou de soigner l'animal ne suscite aucun débat, celui de monter à cheval interroge.
Aujourd'hui, et en l'état actuel du droit, il n'existe aucune interdiction de monter à cheval. L'activité physique indispensable des chevaux inclut le fait de les monter dans le respect des règles de circulation, c'est-à-dire dans l'enceinte de la structure équestre.
D'ailleurs, ni le ministre, ni une quelconque organisation sportive ne pourrait poser une interdiction de monter. Il s'agit d'une atteinte aux libertés individuelles et elle relèverait d'autorités supérieures et de texte supérieurs, même en période de circonstances exceptionnelles.
Toutefois, le droit de monter est différent du choix de le faire. Le choix de monter n'est pas de l'ordre du droit, mais du civisme et du bon sens de chacun.
Faut-il attendre les consignes des CDE, CRE ou de la FFE ?
NON. Ces organisations sont des fédérations sportives ou leurs émanations. Elles ne disposent d'aucun pouvoir réglementaire général. Elles ne sont pas habilitées à exercer une police économique, à indiquer aux centres équestres comment et quand ils peuvent appliquer la directive du ministre de l'agriculture. Les fédérations sportives n'édictent aucune réglementation économique, ne décident pas à la place des dirigeants de structures économiques et n'interviennent pas dans le respect de règles sanitaires nationales, qui dépassent largement le domaine équin.
Surtout, y procéder serait gravement irrégulier. On rappelle que l'Autorité de la concurrence a récemment infligé de très lourdes sanctions pécuniaires. A trois reprises en 2019, l'Autorité de la concurrence a sanctionné des ordres professionnels et autres organisations pour avoir tenté de faire échec à l'application des règles décidées par les autorités publiques. L'Autorité de la concurrence s'est saisie de pratiques décrites comme l'expression de la volonté de représentants des membres d'une profession tendant à obtenir de ceux-ci qu'ils adoptent un comportement déterminé dans le cadre de leur activité économique
Les sanctions pécuniaires infligées vont de 150 000€ à 1,5 M€, ce qui est extrêmement lourd pour des organisations professionnelles.
En conséquence, chaque structure équestre applique les directives du ministre, selon les choix opérés par le dirigeant de la structure.
Que penser alors du Décret du 23 mars 2020 qui dispose que les établissements sportifs sont« fermés» ? Le communiqué de presse du Ministre évoque expressément que « pour autant », « les centres équestres ne peuvent pas accueillir du public, conformément ou décret du 23 mars 2020 ». Cela signifie nécessairement que le Ministre en a tenu compte des dispositions du décret du 23 mars pour autoriser l'accès des propriétaires. Il faut nécessairement comprendre que malgré la fermeture, les propriétaires peuvent accéder.
Les gendarmeries semblent en outre avoir pleinement pris connaissance des dérogations que le communiqué autorise.
En pratique, les conditions sont réunies pour que les propriétaires puissent accéder à leurs équidés en toute
légalité.
Juridiquement, ce n'est évidemment pas satisfaisant, parce qu'un Ministre semble déroger à un décret. Pour les jusque-boutistes, ce qui cherchent à résoudre la quadrature du cercle, voilà ce qui peut être dit : Le Décret du 23 mars 2020 pose la règle que les établissements sportifs sont« FERMES». En droit, les mots ont un sens et le sens de celui-ci est clair : fermé signifie qu'il n'accueille ni propriétaires, ni gérants, ni salariés, ni maréchal, ni vétérinaire, ni livreur de nourriture. On ferme l'établissement comme les piscines
ou les gymnases et on va se confiner chez soi, le domicile du gérant ne se confondant pas avec l'établissement sportif, même s'il se situe dans l'enceinte de celui-ci.
Dès lors, en tant que les centres équestres hébergent des animaux vivants, les dispositions du décret sont illégales, car elles méconnaissent absolument toutes les normes supérieures sur le bien-être animal et la protection des animaux.
Il aurait alors fallu en demander l'abrogation ou l'annulation, en tant qu'il s'applique à des structures comportant des animaux vivants. Cette technique ne remet pas en cause les autres dispositions du décret, qui sont fondamentales à la mise en œuvre du confinement, mais tend à faire admettre aux autorités publiques qu'il ne saurait s'appliquer tel quel aux structures spécifiques que sont les centres équestres. Comme d'autres professions l'ont fait, cela aurait sans doute permis d'obtenir des adaptations. Mais à ma connaissance, cela n'a pas été fait.
D'où la plus grande confusion depuis presque deux mois. Etant donné que personne n'envisage un instant de laisser les chevaux dans des centres fermés, tout relève du bon sens et de l'adaptation en période de crise, sauf que le bon sens de l'un n'est pas le bon sens de l'autre. Peut-on faire venir son maréchal (à 5 semaines ou à 8 semaines ?), Peut-on faire venir son véto ? (quand le cheval commence à gratter parce
qu'il a une colique ou quand il se jette contre les parois de son box?). Le vide juridique crée la confusion et génère des vocations de dictateurs, c'est un fait.
Mais voilà, il y a au moins une règle juridique qui s'applique ici: lorsqu'un règlement est illégal (comme c'est le cas du décret du 23 mars en tant qu'il s'applique aux structures équestres), l'administration a l'obligation de ne pas l'appliquer. « Il incombe à l'autorité administrative de ne pas appliquer un texte réglementaire illégal», nous dit le Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative française.
En droit, la seule solution juridique est donc celle-là : l'administration a obligation de ne pas appliquer un règlement illégal. Libre à elle d'adopter d'autres règles, plus adaptées.