Je ne parviens pas à voir "les enfants" comme une masse distincte du reste de l'humanité. Ce sont des individus comme les autres, ni plus, ni moins.
Hello, je prends comme support ton message pour développer ce point au sujet de la réaction face aux bébés.
Plus jeune j'ai dit que je n'aimais pas les bébés. au-delà du fait que je me suis toujours sentie mal avec eux et pendant longtemps sans être capable de l'analyser, j'aimais le cynisme de mon propos et le choc qu'il pouvait engendrer face à l'injonction sociale voire sociétale à s'extasier devant les bébés.
Personnellement le recul que j'éprouve est plutôt porté sur les nourrissons et s'estompe dès que l'enfant commence à developper ses premières habiletés motrices et langagières. J'ai une petite soeur avec qui j'ai 14 ans d'écart issue d'une autre mère que la mienne et il est possible que ce soit un facteur qui ait joué dans mon ressenti face aux bébés. J'ai fait sa connaissance quand elle avait trois mois, j'ai été "invitée" à m'occuper d'elle y compris à lui donner le bain et à la changer ce qui ne m'a pas spécialement posé de problème cependant je me rappelle que la première rencontre m'a laissée très froide, et les souvenirs les plus agréables avec elle dans sa petite enfance remontent aux environs de son premier anniversaire.
J'ai été animatrice, j'ai toujours aimé communiquer avec des petits, disons à compter de deux ans, peut-être un peu moins, je suis devenue enseignante à l'école et j'ai eu tous les niveaux de la TPS au CM2, je me suis fait très très plaisir en TPS et je trouve régulièrement des 2 ou des trois ans craquants. Parfois des un an aussi. Dans mon métier j'aime le rapport aux enfants en tant que personnes et non en tant qu'enfants. En tant qu'êtres en développement. Une classe c'est un vrai laboratoire où on assiste au développement moteur et psy d'humains, c'est fascinant, passionnant. Voir émerger chez un enfant la répartie, le plaisir de réussir un apprentissage nouveau, la solidarité ou la conscience civique souvent sans aucun prérequis familial, c'est extraordinaire et c'est ce que j'aime avec les enfants. J'aime donner ou permettre à des enfants des choses qu'on m'a permis de faire et qui ont marqué ma vie d'adulte, ou au contraire, exorciser mon vécu et permettre à un enfant de profiter de quelque chose que je n'ai pas eu. Beau pas beau ce n'est pas la question, je ne vois pas les enfants par leur apparence ou leur façade, mais par la psyché, le coeur de mon métier. Cette manière d'envisager les autres (et pas seulement les enfants) m'a facilité la recomposition familiale et la relation avec mes "beaux-enfants". Le rapport que j'ai avec eux se rapproche du rapport professionnel. Il m'est arrivé d'avoir un affect fort avec des enfants que j'ai enseignés, qui m'ont particulièrement touchée, mais je peux dire cela d'adultes. Les enfants de mon conjoint ne sont pas mes enfants, la particularité de la recomposition me distancie naturellement d'eux, et je me place dans la neutralité bienveillante. Dans certaines situations je peux envoyer implicitement ou explicitement des signes de d'empathie ou de sympathie que je vais soigneusement mesurer puisqu'il y a dans ce cas particulier la relation maternelle comme objet de vigilance.
Mais revenons aux bébés. J'ai fini par comprendre ce qui me mettait mal à l'aise. Ce malaise débute avec les femmes enceintes: leurs corps, leur statut, l'aura dégagée auprès d'une majorité de personnes. Cela touche à mon propre rapport au corps. Une forme de dégoût de peur et de refus d'être assaillie par des étrangers qui viendraient mettre le pied dans mon intimité, car c'est de cela qu'il s'agit.
Un nourrisson pour moi c'est le coeur de l'intime d'un couple. Cela me repousse donc totalement. Ce n'est pas mon affaire, c'est une affaire sensorielle et sensuelle entre la mère et l'enfant et entre les parents et l'enfant. Ca me repousse très loin et très fort. C'est tout à fait viscéral. Je suis incapable de féliciter un couple pour une naissance. Je dis cool, ou je blague (c'est bon, il a deux bras deux jambes), j'ai l'impression de les féliciter pour un accouplement fertile (oui oui c'est assez horrible comme vision
). Une de mes jeunes collègues vient d'avoir son premier enfant et elle nous a rendu visite. Vous ne pouvez pas imaginer la sensation de malaise que j'ai ressentie. Cela touche à tout en même temps: on est dans une intimité ultime qui n'est pas la mienne, ça touche à mon propre rapport au corps, le nourrisson m'effraie vraiment, je n'ose même pas le toucher ni m'en approcher, mon inexpérience en la matière est peut être la clé mais pourtant je me suis occupée d'un bébé plus jeune... Je n'ai pas pu m'approcher d'elle. Elle est restée deux heures avec nous et petit à petit j'ai pu me remettre à discuter avec elle mais j'ai eu un sentiment d'oppression terrible au début, à voir le bébé (qui avait un mois environ) la marée humaine extatique autour d'elle (qui me faisait autant peur que le reste), et mon ressenti qui semblait aller à contre-courant. Le pire étant de voir dans l'assemblée des gens très détachés et très peu empathiques avec les enfants habituellement à l'école, et qui semblaient connaître les gestes élémentaires pour toucher un nourrisson. Plus le temps passe, plus j'ai conscience d'être dans le fait accompli de la nulliparité (le pire terme du monde, pourtant médicalement consacré) et plus dans le choix, plus ce type de réaction s'exacerbe chez moi. Les nourrissons des autres sont leur intimité d'une part et le miroir de ce que je n'ai pas fait de la mienne. La réaction des personnes autour est le reflet de ce que la société, même si elle ne m'attaque pas personnellement, considère des personnes telles que moi.
Les pires mots que j'ai entendus sont ceux de la mère des enfants de mon conjoint, qui pendant le processus long et laborieux de recomposition familiale, m'a envoyé des menaces écrites indiquant que j'avais été incapable d'avoir des enfants et que je ne devais pas prendre ceux des autres. Outre le devoir de ne surtout pas répondre alors que j'ai l'habitude de détruire facilement ce type de propos, j'ai senti que c'était une profonde attaque à mes valeurs personnelles et notamment à ma considération profonde des enfants. Ca m'a questionné sur la manière dont certaines mères, de leur côté, utilisaient leur progéniture comme des faire-valoir sociétaux.
J'ai déjà échangé avec des mères qui disaient avoir été assez rebutées par les bébés et n'ont apprécié que le leur, également des mères qui n'ont pas particulièrement apprécié la période nourrisson. Je trouve sain et rassurant que ce type de témoignage soit entendu, et qu'on sorte de l'espèce de magie obligatoire liée à l'enfantement.