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Dresseurs cinglés
Posté le 08/08/2024 à 19h43
uiver
Posté le 08/08/2024 à 19h43
kaih Protocole de cohabitation, dépôt de plainte d'un équipier avant les Jeux, vigile aux écuries? Alors que Pauline Basquin et son cheval dansaient en piste à Versailles, deux cavaliers de l'équipe de France se déchiraient en coulisses. Récit d'une implosion lente qui a débuté il y a plusieurs mois.
Sans le savoir, la petite gendarmerie du Châtelet-en-Brie (Seine-et-Marne), aux murs beiges et à l'unique fenêtre sur sa façade, a enregistré l'élément détonateur d'une équipe de France de dressage fissurée.
On est le 1er juillet 2024, les meilleurs cavaliers de dressage français viennent d'apprendre leur sélection. Sachant qu'il va passer " au moins 15 jours au contact de son coéquipier " Alexandre Ayache (41 ans), Corentin Pottier (30 ans) décide de déposer une main courante. " Car j'avais peur pour mon intégrité physique et celle de mon cheval ", justifie, à Ouest-France, l'athlète le plus léger de toute la délégation tricolore (53 kg).
" Devant la gravité des faits rapportés, c'est le chef de la gendarmerie qui m'a dit qu'il fallait déposer une plainte ", raconte le cavalier de dressage, 29e mondial. L'objet de cette plainte, que nous avons pu consulter, est une " menace réitérée de violences " entre la période du 20 novembre 2023 et du 19 janvier 2024. Comment cette équipe de France de dressage, qui a atteint ses objectifs en piste à Versailles, a-t-elle pu en arriver là ?
On rembobine. 16 août 2023, le dépositaire de la plainte, Corentin Pottier, découvre qu'il n'est pas sélectionné pour les championnats d'Europe en Allemagne prévus début septembre. Le cavalier de dressage, 29e mondial, le conteste auprès du CNOSF (Comité national olympique et sportif français). La requête est rejetée. Pas désarçonné, Corentin Pottier saisit le tribunal administratif. Demande rejetée également.
Dès lors, différentes rumeurs se renforcent dans le milieu du dressage français. Inutile de les relayer tant elles sont invérifiables. Beaucoup tournent autour du casier judiciaire d'Alexandre Ayache, de la santé du cheval de Corentin Pottier, Gotilas du Feuillard, mais aussi de l'influence de l'entourage du cavalier. Factuellement, il est en couple depuis onze ans avec Camille Judet-Chéret, cavalière de dressage également, qui était aussi sur la longue liste pour Paris et rêvait d'être sélectionnée. La mère de Camille Judet-Chéret est juge internationale de concours en dressage.
Rappelons que le dressage est une discipline subjective, basée sur les notes des sept juges en bord de piste. Mieux un cheval est noté, et mieux il se classe. Et plus il prend de la valeur. Dans ce milieu où les intérêts sportifs se croisent autant que les intérêts financiers, les rumeurs vont bon train. La pression monte. Deux clans commencent à se dresser l'un contre l'autre : l'un autour d'Alexandre Ayache et l'autre autour de Corentin Pottier.
Le premier est grand (1,80 m), entier et volubile avec l'accent chantant des Alpes-Maritimes. Le deuxième cavalier est petit (1,66 m), maigrichon et parle calmement en soupesant chaque mot. À première vue, leur seul point commun tient sur quatre jambes : le cheval.
Ils sont raccord sur un point : leur différend ne s'amarre à aucun accroc en particulier. Les deux semblent plutôt s'être laissés dériver par des " on-dit " aux lames profondes. Fracassant leur inimitié sur les falaises de la haine. " Ils ont des caractères différents ", acquiesce Laurent Gallice, le conseiller technique national. L'un " intellectualise ", en référence à Corentin Pottier, titulaire d'un master " non-achevé " en contrôle financier à Paris Dauphine. Alexandre Ayache est " sanguin ", diront certains. " Il a deux facettes ", complète une connaisseuse du milieu. " Il est dans la réaction immédiate ", ajoute Laurent Gallice.
En novembre, lors d'une réunion de débriefing de l'équipe de dressage, organisée à la ferme de Gally près de Versailles, l'Agence nationale du sport (ANS) demande au staff d'arranger la situation. " Il y avait tellement de ranc?urs qu'il fallait libérer la parole ", se souvient Jean-Pierre Guyomarch, conseiller expert à la haute performance à l'ANS, en charge de l'équitation. Tout le monde a vidé son sac dans une réunion encadrée. " L'idée, c'était qu'on en reste là ", explique Laurent Galice, de la FFE?. L'ambiance n'était pas celle d'un club de bridge, un samedi soir. " Il y a eu des mots très durs. Des ?je vais te mettre des tartes dans la gueule? ", rapporte Pottier.
L'objectif de faire " balle neuve ", selon Laurent Galice, fait un flop. Mais pas l'effet boule de neige. En plein hiver, des rumeurs galopent sur les clans. En janvier, un nouveau stage fédéral est organisé au parc équestre de Lamotte-Beuvron (Loir-et-Cher). Le troisième jour, à la sortie d'un cours de préparation physique, Corentin Pottier demande à Alexandre Ayache " d'arrêter de calomnier (s)a belle-mère ". Selon la version d'Alexandre Ayache, fils d'un policier et d'une assistante maternelle, ils étaient dans les couloirs entourés de 15 personnes. " Il n'y a eu aucun geste menaçant de ma part. " Pottier en parle encore en marquant des pauses et avec les mains tremblotantes. " Il m'a dit : je vais te monter en l'air, je vais te démonter. "
Branle-bas de combat à Lamotte-Beuvron, Laurent Gallice et le coach mental tentent, encore une fois, d'éteindre le feu qui couve entre ces deux hommes.
Puis le printemps arrive, les tensions semblent s'apaiser. Lors des quatre concours en commun et des périodes de stage, l'entente est cordiale. Ayache n'arrive pas à dire bonjour à Pottier mais parvient à le féliciter après une reprise de Pottier et " Gus " notée à plus de 73 %. " J'ai même servi du saucisson et l'apéro à Madame Judet et Corentin. L'ambiance est apaisée ", se souvient le cavalier de Jolène.
Le staff respire un coup, le regard tourné vers les JO et l'espoir de qualifier l'équipe en finale et Pauline Basquin dans la finale libre. Le concours d'Aix-la-Chapelle (Allemagne) fin juin est important sur la route qui mène vers Versailles. Mais moins d'une heure avant de se mettre en selle pour sa reprise avec Jolène, Ayache reçoit un appel. " J'ai cru à une blague, j'ai raccroché. " La petite gendarmerie du Châtelet-en-Brie insiste. Le cavalier niçois apprend la plainte " au pire moment ". Le staff fédéral était au courant. Il temporise mais fulmine. " Cela a surpris tout le monde que le feu reparte avant les Jeux ", résume la remplaçante Anne-Sophie Serre.
Fin juin, la fédération doit rendre une longue liste nominative pour Versailles. " On met neuf chevaux, dont le cheval de Camille Judet ", précise Jean Morel, le sélectionneur. Le 1er juillet,? le conseil des sélections olympiques grimpe les marches des bureaux de la fédération. C'est un comité composé de six personnes, " où on a expliqué notre sélection cavalier par cavalier ", justifie Laurent Gallice. " Cela a duré plus d'une heure trente, pas trois minutes entre copains. "?
Ils en retiennent quatre. À la sortie, comme dans beaucoup de fédérations, la DTN (direction technique nationale) appelle d'abord les déçus. Dont Camille Judet, la femme de Pottier. Son mari Corentin Pottier est, lui, sélectionné. Mais c'est aussi ce même jour que Corentin Pottier décide d'aller porter plainte. " Pour me protéger. Si je l'avais fait avant, je pouvais dire au revoir aux JO. "
Avec ce climat, le CNOSF hésite à valider la sélection d'Alexandre Ayache et Corentin Pottier. Sophie Dubourg, la DTN, se bagarre et innove. " Elle nous a proposé un protocole de cohabitation durant la période olympique ", confirme André-Pierre Goubert du CNOSF. Validé. Une première.
Ce contrat entre les deux parties prévoyait, par exemple, que le briefing d'équipe se fasse en présence de l'équipe d'encadrement, que la manipulation des chevaux par le vétérinaire fédéral devait se faire sur autorisation express ou encore que les deux cavaliers ne cohabitent pas dans le même logement durant les Jeux.
Ainsi, pendant le stage de regroupement et la période des épreuves olympiques, soit 15 jours, l'athlète et sa femme ont vécu dans leur camion, à Versailles. " J'ai dû louer un générateur pour avoir l'électricité dans mon camion ", raconte Corentin Pottier.