Déconfinement: si le monde d’après était déjà là ?

Sans citer ni viser personne, je me permets de revenir commenter un peu, à tête reposée (et surtout moins tordue d'angoisse car j'avoue que certaines façons de penser me font frisonner et j'y pense toute la journée).
ça va être un peu foutraque et je ne sais pas si j'aurais l'énergie de répondre ensuite à nouveau mais voilà.

Le souci majeur que je vois avec la scission riche et pauvre est le suivant : on part du principe que les gens riches ont mérité de l'être, par leur famille, par leur travail, leur implication etc.
Déjà, c'est très loin d'être vrai et ensuite, même s'ils peuvent effectivement avoir beaucoup bossé pour arriver à devenir millionnaire (ou juste gagner 10 000€/mois), est-ce qu'ils l'ont fait en écrasant les autres et en bousillant un peu plus la planète ? Jeff Bezos a bon dos de "donner" des milliards à la science : il a créé l'une des entreprises les plus polluantes au monde. Ses dons me font bien rigoler, il participe à l'allumage de l'incendie puis consent à donner aux pompiers trois camions citernes ; cimer garçon mais va plutôt te faire cuire le cul s'il te plait.
J'ai beaucoup d'ultra-riches parmi nos clients : plusieurs sont des héritiers de vieilles familles du XVIème siècles, d'autres sont rentiers ou juste héritiers des empires comme Auchan. Ils font quoi pour le bien commun, pour les pauvres, pour les autres ? Ils licencient, se débrouillent pour trouver la masse salariale la moins chère, contournent les lois ... Et on en a un qui est considéré malgré tout comme "mécène" pour l'art ; si c'est pas formidable ! En attendant, sous un de ses appart' Parisien, y'a plusieurs SDF qui crèvent la dalle et qui survivent grâce à l'implication des gens du quartier.

Si l'on dit que les riches méritent de l'être, ça sous-entend également que, si tu ne l'es pas, c'est que tu mérites aussi de rester ainsi. Pour prendre mon exemple perso', sachant que je suis très très loin d'être à plaindre, je me lève entre 3h45 et 6h tous les jours, je bosse dehors donc je subis les intempéries, je n'ai pas de toilettes/eau courante à dispo, je mange rarement dans un lieu chauffé, j'ai plusieurs heures de trajets au quotidien et je rentre tard chez moi. Il me faudrait plus de quarante ans pour gagner ne serait-ce qu'UN million. Si je mettais 100% de mon salaire de côté.
ça veut dire que je ne mérite pas de pouvoir prendre quelques heures de bon temps au soleil, d'aller en vacances je ne sais où ? Que je mérite juste de continuer de bosser toute ma vie à regarder les bourgeois détruire une planète que d'autres s'efforcent de sauvegarder ?

Tout le monde ne naît pas égaux, c'est clair ! Mais une société aboutie doit justement chercher à niveler les inégalités au lieu d'en créer. Une personne racisée et handicapée doit recevoir plus de moyens, plus d'aides qu'une personne blanche et valide. C'est le but de toute vie en commun. clarousse, je suis contente de voir que toi aussi tu lis Servigne en ce moment, je termine tout juste L'Entraide et j'ai beaucoup aimé !
Je réfléchis beaucoup au sujet de l'auto-gestion et du bien-commun d'ailleurs ces temps-ci et il me semble que ce sont de gros bons points de départ pour une société plus juste. Pas de justice climatique sans justice sociale.

Sur ce post, y'a tellement de belles idées, de belles personnes, qui ont tellement plus d'humanité que les dirigeant.es du monde ... Mais personne ici n'a suffisamment d'argent/d'influence pour qu'on l'entende réellement.
Je suis d'accord que, par contamination, notre mode de vie et nos actions personnelles influencent les autres. Mais cela prend des années et ça ne marche que sur quelques personnes.

Pour réellement avoir un impact, je pense qu'il faut s'engager dans des mouvements à plus grandes échelles, dans des organismes, assister à des réunions, créer des groupes de paroles et de pensées.
C'est très bien de boycotter Apple ! C'est bien mieux de rejoindre un collectif qui va se battre sur le terrain contre l'implantation d'une nouvelle usine.

alecto

neonetmath
Oh !

alecto Merci pour cette réponse détaillée … c'est exactement ce que je n'ai pas eu le courage de mettre par écrit !

Si cela t'intéresse ( et ca pourrait en intéresser beaucoup d'autre ) je te conseille le bouquin de Céline Bessière et Sibylle Gollac Le genre du capital, comment la famille reproduit les inégalités

C'est un bouquin ( étude socio ) qui démontre scientifiquement que le mérite et le travail n'ont aucun pouvoir explicatif dans les inégalités de richesse ( revenu et patrimoine ) … le tout en s'intéressant spécifiquement aux raisons ( spoil : rapport de domination ) qui font que les femmes soient largement défavorisées sur les questions de patrimoine, bien que l'on soit dans une société où elles ont acquis une certaines indépendance économique via le travail et où la loi garantie un droit égalitaire entre les sexes.

Le résumé et le lien pour les curieux :

[i]On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d’inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l’on sait moins, c’est que l’inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique afin de consolider leur position sociale d’une génération à la suivante. Conjointes et conjoints, frères et sœurs, pères et mères n’occupent pas les mêmes positions dans les stratégies familiales de reproduction, et n’en tirent pas les mêmes bénéfices. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre montre que le capital a un genre.
Céline Bessière et Sibylle Gollac enquêtent sur les calculs, les partages et les conflits qui ont lieu au moment des séparations conjugales et des héritages, avec le concours des professions du droit. Des mères isolées du mouvement des Gilets jaunes au divorce de Jeff et MacKenzie Bezos, des transmissions de petites entreprises à l’héritage de Johnny Hallyday, les mécanismes de contrôle et de distribution du capital varient selon les classes sociales, mais aboutissent toujours à la dépossession des femmes. Ce livre analyse ainsi comment la société de classes se reproduit grâce à l’appropriation masculine du capital.[/i]

https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_genre_du_capital-9782348044380.html

clarousse
Merci beaucoup !

J'ai reçu un joli colis des "Editions du Commun" auxquelles je me suis abonnée donc j'ai plusieurs bouquins à lire (tu adorerais je pense !) mais je note le tien

Moi je pense que quand tu as la chance d'être bien "intégré" dans le système (et je me considère comme étant de ces chanceux-là), reconnaitre qu'il est déconnant c'est pas si simple, c'est accepter de se poser la question de ta place, de sa légitimité et de la part de chance et non pas de mérite à être là où tu es ...

La chance n'explique pas tout : tu peux être né sous les meilleurs auspices et gaspiller ce cadeau.
Le mérite n'explique pas tout : tu peux jouer le jeu en bossant comme un âne et ne rien obtenir.

C'est l'intelligence, s'entendant comme la faculté d'analyser une situation et de t'y adapter qui rend compte in fine de ton "intégration" dans le système. Que tu le juges d'ailleurs formidable ou déconnant …
Dans ce dernier cas, soit tu t'en fous et tu te contentes de construire une existence conforme à tes idées qui soit "système-compatible", fût-ce à la marge en laissant les autres se démerder . Soit tu ne t'en fous pas et tu postes sur ce fil...

gobi
C'est sur. On le voit beaucoup sur ce forum, où il semble très difficilement d'admettre que tout ne se joue pas à l'effort et aux mérites (on l'a vu sur plusieurs posts vis-à-vis de l'argent ces derniers mois).
Je ne nie pas que certaines personnes travaillent plus que d'autres (mais même là, c'est poser la question de la légitimité de la valeur travail - et quel type de travail) mais ici on est à 99% des personnes blanches déjà.

Dans un pays comme le notre, être blanc est un privilège et on ne s'en rend même pas compte.
Quand on s'appelle Aïssa, qu'on vit dans une banlieue du 93 et qu'on est de confession musulmane, tout sera beaucoup plus difficile que pour une personne blanche avec un nom/prénom à connotation française.

Je trouve que c'est vraiment très visible sur ChevalAnnonce où on n'envisage même pas que la couleur puisse jouer, y'a beaucoup de Color Blind ("Nia nia nia les couleurs n'ont pas d'importance, moi je ne les vois pas") et on ne parle que du mérite. C'est assez violent, on est vraiment dans notre petit monde pour la grande majorité (je m'inclue dedans, j'ai grandi entourée de personnes blanches, aisées, cisgenres et pendant très longtemps je n'ai pas du tout songé que c'était un privilège).


Edit : j'ai mal lu ton message je crois. Pour le fait de reconnaître que ça tourne pas rond alors qu'on est bien intégré dans le système, oui c'est vrai aussi !
Après, pour beaucoup de gens autour de moi, ils se disent que ça ne va pas fort mais que changer serait pire.
Que ce sont les autres, ceux qui pensent que ça ne tiendra pas longtemps, qui sont utopistes. Moi je pense que ce sont ceux qui pensent que ça durera encore des dizaines d'années comme ça qui sont utopistes mais ...

je suis tout à fait d'accord avec vous alecto et gobi : quand on dispose de la place de dominant et des privilèges qui vont avec c'est :

- 1 super dur de se prendre conscience de ces privilèges, ca demande un sacré recul sur soit même
- 2 super dur de se décider à y renoncer car cela implique une confrontation entre confort et éthique
- 3 super inconfortable d'être dans une position de dominant sans le vouloir foncièrement

Là dessus la comparaison entre féminisme et racisme est super intéressante : sur CA nous sommes une majorité de blanches : nous ne nous rendons pas compte de la réalité du racisme car nous ne le vivons pas directement … en revanche en tant que femme nous avons toutes une expérience du sexiste et du patriarcat … cela devrait nous aider à construire des ponts, à prendre du recul sur nos privilèges ( économique, sociaux, environnement etc ) et à ne plus nous cacher derrière une notion de Mérite totalement dévoyée … mais je m'éloigne du sujet ^^

Pour marteler quelques slogans bien faux (par exemple, en raccourci, si tu es pauvre, c'est que tu ne te bouges pas, si tu es riche, tu donneras du travail aux autres et les fera vivre), on peut compter sur les médias. Les journalistes font très bien ce pour quoi ils sont payés par leurs milliardaires de patrons, mettre dans la tête des gens que le néo libéralisme est le meilleur des systèmes et d'ailleurs le seul possible. There Is No Alternative!

Voui, c'est pathétique et incantatoire. Un peu comme le "too big to fail" …

est-ce que vous auriez des ressources sur l'organisation horizontale d'un conseil municipal ?

gobi tu entends quoi par ressources ? organisation pratique ? technique d'animation ?

clarousse

idées de fonctionnement des commissions, ouverture des espaces de travail à la population avec une vraie collaboration, comment fonctionner pour une meilleure répartition des responsabilités, orga pour une sortie du système pyramidal... Permettre et faciliter la participation du plus grand monde à la vie politique locale.
mode de prises de décisions, communication et transparence tant sur le fonctionnement que sur la prise de décision.

gobi
Dans L'Entraide y'a plusieurs points retenus pour ça justement, je les résume grossièrement ici, sinon je photographierais les pages si ça te semble intéressant !

Pour le fonctionnement des commissions :

- disposition en cercle pour favoriser l'égalité de la prise de parole
- pratiquer le tour de parole (avec objet de parole pour mieux symboliser le temps)
- laisser des temps de silence
- parler "au centre", ne pas s'adresser à des individus en particulier mais au groupe, sans interpeller quiconque
- développer l'intelligence collectif en additionnant les paroles et non pas en les confrontant
- faire respecter les règles, en faisant appel à un.e coordinateur.trice (désigné.e en amont par le groupe, le rôle ne doit pas être toujours assigné aux mêmes personnes) qui aura la possibilité d'intervenir en cas de manquement


Pour informer les citoyens et citoyennes, ne pas hésiter à distribuer des tracts, les impliquer personnellement, leur dire que leur parole compte véritablement et que toutes les opinions sont les bienvenues. Leur expliquer brièvement peut-être le principe des "communs", instaurer des roulements par tirage au sort parmi des volontaires (ou pas, peut-être qu'en recevant une "convocation" - non obligatoire évidemment mais rien que recevoir un papier fait de l'effet - la personne va faire l'effort d'aller voir au moins ce qui se fait) pour avoir toujours des têtes nouvelles et d'impliquer au maximum ...
Installer une "boîte à idées" devant la mairie/l'école où iels peuvent déposer des papiers avec inscrits dessus leurs desiderata pour votre commune.

ça te parle ?