Nouveau petit post après un long temps d'arrêt pour un petit texte que j'ai écrit il y a peu :)
[Vie et mort d'une vache laitière - en quelques chiffres]
Voici la génisse 5616, "Paquerette" dans le meilleur des cas, une jolie Prim'Holstein. Et voici un aperçu de sa vie.
5616 vient de naître, elle a de la chance, c'est une femelle, et elle a encore plus de chance, elle fait partie des
87% désignées comme génisse de renouvellement.
En effet, en naissant femelle dans un élevage laitier, elle avait
8% de risques de partir à l'engraissement, en tant que veau de boucherie.
Bref, revenons à 5616. Elle a eu environ
24 heures pour faire connaissance avec sa mère, puis elle en est brutalement séparée. Mise dans une case individuelle, elle est nourrie dans le meilleur des cas au lait reconstitué (notamment avec du lait de soja), dans le pire avec du lait impropre à la consommation humaine (antibios, lait de mammite...).
Au sevrage, elle va avec ses demi-soeurs et fait sa petite vie jusqu'à ses
un an et demie-deux ans (selon la conduite d'élevage souhaitée par l'éleveur). Elle est alors mise à la reproduction.
5616 a encore une fois de la chance, car
4% des génisses sont à ce moment là réformées pour infertilité (réforme = abattoir). Elle est tout à fait fertile, même si ce sont à peine ses premières chaleurs.
En élevage laitier, l'insémination artificielle forcée est très pratiquée, notamment sur les génisses. Elle y passe donc comme les autres, je ne vous fait pas un dessin, si vous voulez vous renseigner sur les modalités d'insémination forcée chez la vache, un petit tour sur google vous en apprendra déjà pas mal ;)
Rappelons qu'au moment de sa première insémination, 5616 a
1 an et demi, 2 ans max. 5616 est encore un bébé et ne terminera pas sa croissance avant ses
6 ans (c'est d'ailleurs entre autres pour cela qu'on pratique d'autant plus l'IA sur les génisses, parce qu'elles sont souvent trop petites et frêles pour les taureaux).
A ses
2 ans et demie-3 ans (selon date d'insémination), 5616 met bas. Pas de chance, son petit est un mâle, inutile à l'élevage laitier. Il terminera donc en veau de boucherie dans
64% des cas, en jeune bovin de boucherie dans
24% des cas, et en bœuf dans
8% des cas (ce qui change : son age à l'abattage,
5 mois dans le premier cas, entre
16 et 18 mois dans le deuxième, et entre
28 et 34 mois dans le dernier)
24h après sa naissance, son veau lui est retiré, comme elle l'a été 2 ans et demi-3 ans plus tôt.
5616 commence alors la lactation. Tous les jours, matin et soir minimum, elle va a la traite. Ça en devient routinier. Pendant
45 jours minimum elle est tranquille, c'est le temps de son involution utérine (le temps que son utérus soit de nouveau prêt à porter un veau). Après
45j post-vêlage, l'éleveur commence à la surveiller de façon accrue, il cherche à observer son retour en chaleur.
L'objectif de l'éleveur est d'avoir une vache à nouveau pleine moins de
85j après vêlage. 5616 a donc
70j de répit (si toutefois son éleveur suit les recommandations de ne pas remettre une vache à la reproduction avant
70 jours post-vêlage), puis elle se fait à nouveau inséminer, potentiellement plusieurs fois, jusqu'à ce qu'elle prenne.
Pour la petite histoire, les chaleurs d'une vache durent
18h, et l'ovulation survient
12h après la fin de celles-ci, cela laisse peu de temps entre la détection et le moment d'inséminer. Or les Prim'Holstein sont réputées pour ne pas exprimer facilement leurs chaleurs. Il faut donc souvent les inséminer plusieurs fois avant de tomber au bon moment (parce que l'éleveur a mal détecté, que l'inséminateur est venu trop tard ou trop tôt etc.).
Après cela, 5616 continue sa lactation, traite matin et soir avec son nouveau veau qui grandit en elle. environ
7 mois plus tard, 5616 est tarie. On cesse de la traire. Cette période est critique en terme de risque de mammite, on lui fait dont un traitement antibiotique systématique en lui injectant de la crème antibiotique directement dans les trayons. Elle est alors tranquille jusqu'à son vêlage, environ
2 mois plus tard. A nouveau son veau lui est enlevé et 5616 reprend une nouvelle lactation.
5616 fera en moyenne
3 lactations au cours de sa vie avant d'être réformée. Les motifs de réforme les plus courants étant les suivants :
-Infertilité
-Mauvaise production laitière
-Mammites chroniques
-Boiteries
Les deux derniers motifs sont dans la très grande majorité des cas tout à fait soignables. Simplement le traitement coûterait plus cher que ce que 5616 rapporte en produisant du lait.
5616 est donc envoyée à l'abattoir au bout de
4 lactation, parce qu'elle a encore eu de la chance et qu'on lui a accordé un an de rab. 5616 a
6 ans et demi-7 ans. Elle vient de finir sa croissance, elle est tout juste adulte. Elle pourrait vivre facilement
20-30 ans. Mais non.
Sa viande sera consommée en tant que "viande de bœuf". Parce qu'actuellement,
50% de la viande bovine consommée en france est de la viande de vache laitière de réforme.
60% si on se place à l'échelle de l'union européenne.
La consommation de produit laitier en France est actuellement de l'ordre de
360 équivalent-kg de lait par habitant et par an. Cette consommation est constituée à
40% par les fromages.
17% des produits d'un élevage laitier (hors réforme de vache laitière) sont de la production carnée (veaux)
Chaque année l'éleveur réforme en moyenne
15% de son troupeau
Sachant qu'en France un troupeau laitier c'est en moyenne
50 vaches (hors génisses et veaux), ça fait donc
7 à 8 vaches réformées par troupeau et par an, pour
94 500 élevages laitiers, donc
661 500 à 756 000 vaches laitières réformées par an en France, à moins de la moitié de leur espérance de vie :)
Vous remarquerez que aucun de mes chiffres ne concerne les conditions d'élevage, ils sont donc valables que votre lait/fromage soit bio/label rouge/plein air ou non
Voila, vous savez tout. 5616 est une vache fictive que j'ai inventée pour cet exemple, mais toute vache laitière peut calquer sa vie à quelques variations prêt sur celle de 5616.
Bonne journée à tout le monde, et merci à ceux qui auront eu la patience de lire tout ça :)
Source : Structures de production, marchés et filières des produits de l'élevage bovin, par H. Seegers et N. Bareille