Les remises en question c’est tout au long de la vie du cavalier pour moi.
Impossible de donner un rythme précis et l’étendu du constat. Je pense que ça dépend de la personnalité de chacun, du chemin pris au départ, des enseignants ou cavaliers que l’on côtoie, des chevaux que l’on rencontre… Après elles sont normales, indispensables, bénéfiques… Même si elles sont cruelles parfois.
C’est plutôt bon signe qu’un cavalier en ait. Après, il faut veiller à ne pas passer d’un travers à l’autre. C’est pourquoi, plus que des remises en question radicales (sauf cas d’extrême urgence !), il me semble surtout important de rester perméable aux chevaux et aux différents enseignements tout au long de sa vie. Ce qui ne signifie pas non plus qu’il faille tout essayer et changer de méthode en donnant raison au dernier qui parle… Juste s’interroger, analyser, comprendre…pour ensuite choisir, évoluer, modifier.
Pour moi, l’important c’est d’entretenir une réflexion permanente, un questionnement, de cultiver ses connaissances et les enrichir. Comprendre ce qu’on fait, pourquoi on le fait, accepter l’adaptation, rester très à l’écoute des chevaux car ce sont eux qui nous permettent de progresser en permanence. Comprendre aussi tout ce qu’on abandonne, qu’on refuse, pourquoi on se doit de l’écarter. Evaluer toujours les aspects positifs et négatifs de chaque chose et voir si le jeu en vaut la chandelle, car rien n’est jamais miraculeux, parfait, magique, universel… C’est un sacré travail sur soi l’équitation !
Même lorsqu’on s’est égaré, on n’a pas réellement perdu son temps. On sait alors ce qu’il ne faut plus faire, pourquoi et dans notre référentiel de sensations et d’actions, cela permet alors de réagir plus rapidement si on se perd à nouveau. Lorsqu’on a exploré un peu les côtés obscurs, on les reconnait ensuite de loin et on voit aussi plus clairement tout ce qui y ressemble. Il ne faut pas voir ses erreurs comme un échec. On n’est pas nul, on est juste mal informé ! On devient nul si on s’acharne dans l’erreur alors que tous les signaux sont au rouge.
L’équitation doit être un plaisir, un moment agréable, satisfaisant, bénéfique, autant pour le cavalier que pour le cheval, même s’il s’agit d’un effort, même s’il y a eu discussion. Dans une bonne équitation respectueuse, il s’agit d’une vérité physiquement ressentie par le cheval comme par le cavalier. C’est l’éloignement de cette plénitude qui doit ête le premier signe d’alerte pour se remettre véritablement en question.
J’ai eu la chance de débuter avec une personne qui m’a tout de suite initié à une bonne philosophie équestre et à l’admiration du cheval, son respect, sa reconnaissance. J’étais un petite gamine et beaucoup de choses m’ont échappé à cette époque. Mais ce premier « maître » a su amorcer chez moi un certain ressenti, un regard particulier. Je lui en suis tellement reconnaissante. Ensuite j’ai atterrie en club et je me suis égarée dans ma pratique, obéissant à mes moniteurs mais j’avais tout le temps des doutes sur ce qu’on me disait. Les poneys et chevaux que je montais me renvoyaient un sentiment d’insatisfaction, même si je ne m’en sortais pas trop mal dans mon équitation, il y avait quelque chose de pourris dans mon royaume !
Au bout de quelques années, j’ai été trop écœurée, les choses ne me convenaient plus du tout, j’étais trop éloignée de ce à quoi j’avais été initié et qui était tellement plus en accord avec les chevaux et mon état d’esprit. Mais j’identifiais encore très mal les choses, je n’avais pas assez d’expérience, de technique, pas d’enseignement digne… J’ai arrêté, j’ai changé de crémerie, j’ai cherché ailleurs autrement, sans savoir trop quoi… j’étais ado.
Puis j’ai trouvé un club très atypique, avec un enseignant qui me ramenait vers les fondamentaux de ce que j’avais connu tout au début et une cavalerie comme on en trouve qu’exceptionnellement en club. Un bonne claque équestre mais un soulagement moral. J’ai commencé à avoir une culture équestre littéraire et une pratique cohérente avec ce que je lisais. Evidemment le cadre du club, même atypique, est limitant. J’ai cherché des enseignants particuliers, j’ai été me nourrir de tous les écuyers qui passaient à ma portée, ne serait-ce qu’en auditeur libre. A cheval, il y a des sensations qui ne trompent pas et surtout, Nuno a tellement raison d’inciter les cavaliers à se soumettre avec humilité au regard de leur chevaux une fois pied mis à terre !
J’ai monté des chevaux de propriétaires, des chevaux très différents, sans jamais arriver avec « une » méthode mais plutôt avec la boite à outils dont je disposais à l’instant, comme proposition, jamais par conviction, et beaucoup d’interrogation et d’écoute. Parce que c’est ainsi que j’ai appris à aborder chaque cheval. Parfois, ça été difficile et je voyais bien que je n’étais pas encore à la hauteur des besoins de certains des chevaux qu’on me confiait. C’est surement avec eux que j’ai le plus progressé, grâce à tous mes professeurs, grâce à tous les ouvrages qu’ont laissé derrière eux les grands écuyers depuis plus de 2000 ans. A mes yeux, il n’est pas pire égarement que de passer sa vie à réinventer l’eau tiède ! Que de temps perdu, que de chevaux gâchés !
J’en retire que, certes, il y a des grands tournants dans la vie d’un cavalier, il ne faut jamais partir avec des convictions surtout lorsqu’on est jeune, en âge et dans la pratique du moins. Les convictions sont en fait des principes moraux et biomécaniques qu’on acquiert très progressivement par la pratique et la culture équestre. Ces principes s’affirment par la validation des chevaux, les réponses qu’ils nous accordent et qu’il faut absolument savoir écouter sans avis préconçus.
J’ai bientôt 40 ans d’équitation, je n’aborde jamais un cheval en sachant ce que je vais lui faire faire ni comment, juste que je vais rester sur mes principes. Je commence par le découvrir, par essayer de comprendre sa biomécanique personnelle, ce que me semble être ses points faibles, ses points forts. Je l’interroge, je lui propose des choses pour apprendre à le connaitre. Et plus tard, je commence à dessiner un plan de travail en fonction de qui il est. Et je le réajuste au fil de son évolution… Chaque chose contre laquelle je bute me renvoie à mes livres, vers les enseignants en qui j’ai confiance, vers les cavaliers qui m’inspirent. Pour autant, je ne leur obéirais pas forcément mais au moins il m’éclaireront de leur savoirs pour prendre les décisions qui me semblent les plus en adéquation avec le cheval du moment, le moment lui-même et ce que je crois être capable ou non de faire.