Je ne sais pas comment donner mon avis sur tout ça sans écrire un long, long roman.
1) même les mouvements body-positive m'agacent. "tous les corps sont beaux, blablabla", certes mais pourquoi ça nous intéresse de discuter de l'esthétique du corps aussi. C'est quelque chose que j'essaie de déconstruire chez moi, le fait de me "formuler" une opinion personnelle sur l'apparence esthétique de la personne en face.
C'est assez facile et évident quand on connaît bien quelqu'un parce que son apparence physique s'est "effacée" dans notre mental face à toutes ses caractéristiques mentales (mes potes, je ne me demande pas s'ils et elles sont beaux ou pas, c'est mes potes quoi, elles et ils ont le corps et le visage qu'ils ont et voilà), mais quand on rencontre un(e) inconnu(e) le cerveau se demande toujours (probablement parce qu'on cherche des caractéristiques à attribuer à la personne pour mieux la garder en mémoire).
Je m'agace donc des "regarde il/elle est grosse / handicapée / etc mais beau quand même", parce que m*rde, on ne devrait même pas se poser la question de qui est beau ou pas, ça devrait être un non-sujet.
J'essaie aussi de faire ça quand je m'adresse aux gens, et aux enfants : de ne pas complimenter les gens sur leur beauté. Si j'ai envie de complimenter / faire plaisir, je trouve autre chose qu'un phénomène esthétique.
Je fais vraiment de l'esthétique un total non sujet, du moins j'essaie, ça fait partie de mon auto-programme de déconstruction
2) j'ai failli vous écrire "ce qui m'importe dans mon corps n'est pas tant qu'il soit beau, ce qui compte c'est qu'il soit en bonne santé". Ce qui est vrai. Mais là on tombe dans autre chose, le "validisme" : le fait de considérer que le corps "normé" soit le standard auquel tout le monde veut et doit aspirer, donc que quelqu'un qui est dans un corps différent de cette norme est quelqu'un de "non conforme" (oooooh le pauvre mais regardez il/elle est drôle/intelligent/etc).
Essayer de s'affranchir de cette norme aussi est encore plus difficile je trouve.
3) Dès que je pousse la réflexion (et c'est vos derniers messages sur les instagrammeuses qui m'y ont fait penser), je deviens très vite convaincue que tout ce mode de pensée est intimement lié au monde de consommation capitaliste. A quoi ça sert concrètement d'avoir des femmes qui se montrent bien, qui font vendre, etc ? Eh bien à nous pousser à consommer du maquillage, des cours de sports, des crèmes anti-âge ou hydratante ou anti-rougeurs etc etc etc... Concrètement s'il n'y avait pas de valorisation physique accentuée des femmes les plus jeunes par rapport aux autres, qui vendrait des crèmes anti-rides ?
Et concrètement, valider les corps "conformes" et "valides", c'est aussi se faire l'éloge de la productivité, de la capacité à travailler et à consommer normalement.
Sur le féminisme ça se voit d'ailleurs :
- ces derniers mois, les ventes de rouge à lèvres ont chuté en flèche. Conséquence : risque de perte d'emploi pour des tas de gens, mais aussi baisse des dividendes pour un tas d'autres. Que les femmes se maquillent moins ne sert pas la société.
- la montée en force des mouvements "pro-poils" de femmes qui ne s'épilent plus ou beaucoup moins va, si cela prend de l'ampleur, amener à la chute de vente des crèmes dépilatoires, cires, épilateurs, rasoirs, cartes en institut de "beauté"... Ce qui fera trinquer les entreprises qui fabriquent tout ça, et ceux qui les vendent. La société de productivité n'est pas gagnante dans cette affaire, sauf si elle nous maintient dans le système actuel du "le poil sur une femme c'est beurk".
--> et les employés de ces entreprises ne sont pas des grands méchants machos. Ce sont des gens normaux comme partout, qui font du mieux qu'ils peuvent, qui aiment leur travail ou pas mais qui gagnent leur salaire pour vivre la vie la plus agréable possible, nourrir leur famille, se payer les frais de santé, etc, etc.
Je ne suis pas sûre d'être claire ni même de bien argumenter, mais c'est vraiment là où le gros de mes réflexions me mènent ces derniers mois. Je relie tout (des troubles et syndrômes psys aux diverses discriminations, au droit du travail, à l'écologie, etc) à la productivité et à la consommation.
Je me sens glisser doucement vers cette reflexion politique et philosophique, presque malgré moi.
Quelle société on veut au fond ? On ne peut pas et satisfaire les employés du fabricant d'épilateurs qui aimeraient bien garder leur travail, et les femmes qui voudraient bien que les jambes et les aisselles imberbes ne soient plus la norme.
*indice sur mon opinion : peut-être que ce que veulent les fameux employés, c'est avoir un travail tout court. C'est pas forcément le rêve de leur vie de fabriquer des épilateurs ou des crèmes dépilatoires. Peut-être qu'ils veulent juste pouvoir continuer à vivre leur vie de la meilleure manière possible. Mais si on leur enlève leur emploi, il faut envisager de trouver autre chose, pas juste les envoyer traverser la rue et leur dire bonne chance.