En vla un sujet que j'ai parcouru en long, en large et en travers.
Il y a effectivement une grande différence générationnelle vis à vis de "comment doit se vivre la vie", "comment est-on accompli dans sa vie", donc autour de la vision du travail.
En école, j'avais eu un excellent cours de management intergénérationnel, très pertinent sur ce qu'attendait chaque "génération" de la vie, du travail, et du coup du "comment manager chacune d'entre elles". Je dois avouer que plus je vieillis, et plus je trouve juste ce cours !
La génération de mes parents (personnes nées disons, dans les années 50-70, les "baby boomers") s'est majoritairement accomplie par le travail.
C'est le mode normal de construction de l'individu en tant que citoyen, dans un système que l'on voyait comme gagnant-gagnant. C'est aussi une génération où on trouve normal de "commencer en bas de l'échelle" dans l'entreprise, pour "faire ses preuves" et "gravir les échelons petit à petit". Ainsi on donne sa loyauté, ses années de travail et, souvent, son temps libre (sacrifice de temps qu'on aurait aimé passer en famille ou à pratiquer des loisirs) à l'entreprise, mais dans l'idée que l'entreprise nous remerciera de nos efforts à leur juste valeur : petit à petit, on y gagnera en responsabilités, en salaire, etc.
On retrouve souvent un sentiment d'appartenance et de loyauté vis à vis de l'entreprise, et des valeurs fédératrices comme l'attachement au patrimoine, la valorisation du travail "besogneux", le respect de la hiérarchie (donc ils s'attendent aussi à être respectés de la même façon quand eux montent dans la hiérarchie).
La génération dite "X", derrière (disons, les 70-85 environ), a reçu également ses valeurs de travail, mais n'a pas connu les fameuses "30 glorieuses". Contrairement aux baby-boomers, ils n'ont pas bénéficié d'un marché du travail florissant dans lequel on donnait pleinement sa loyauté à une entreprise qui nous le rendait bien, mais ont plutôt subi les affres des crises économiques, des vagues de chômage, de la croissance qui commençait à ralentir.
Ils ont du se battre pour garder leur travail, plus ou moins fort : même si on n'était pas touché directement, on était "soulagé de ne pas l'être", consciemment ou pas. Comme la génération précédente, on voit un attachement au travail, mais marqué par une envie de faire ses preuves (non c'est pas le choixpeau magique qui parle), des carrières longues, un respect de la hiérarchie là encore. Le rapport au travail est moins "attaché" que pour les boomers, on est passés d'un rapport
"nourrir sa famille, mais s'accomplir en progressant" à "s'accrocher pour survivre" (= s'accrocher à son travail, faire des efforts particuliers pour le garder, afin de maintenir la tête hors de l'eau financièrement parlant).
Mais bim, voilà les 85-95 qui arrivent (la fameuse "génération Y") : nous avons grandi avec aux informations des images de récession économique, de chômage, de morosité financière. Beaucoup d'entre nous avons été touchés par au moins un parent au chômage, et ceux qui ont la chance d'avoir été préservés ont quand même pu en observer les effets à la télévision, dans nos groupes d'amis, dans notre famille...
Nous avons aussi vus nos aînés se défoncer au travail, parfois pour "rien" : la génération X a encaissé des burn out, des dépressions, de la souffrance au travail pour se faire virer, etc, etc... Tout ceci sous nos yeux.
Nous avons démarré notre vie professionnel dans ce contexte : une peur du chômage, mais aussi une peur du travail et des conséquences néfastes qu'il peut avoir sur la santé physique et mentale.
Clairement, il n'y a plus de confiance dans l'entreprise. Nous n'avons pas (et nous n'aurons pas) la même expérience que les baby boomers, le concept du "main dans la main" avec sa hiérarchie. Nous avons conscience que cette période est terminée, que les rapports se sont durcis.
Si cette génération passe sans sourciller d'une entreprise à une autre, c'est qu'elle sait qu'il est devenu très naïf de faire confiance à la loyauté de son entreprise. On
sait, parce qu'on l'a vu, et parfois vécu, que l'entreprise ne nous rendra pas nos efforts, qu'elle ne nous remerciera pas non plus. Pour avoir vu d'autres salariés se faire essorer jusqu'à la moelle avant de se faire jeter ou réprimander d'avoir tout donné, on sait qu'on sera perdants dans ce rapport. Alors... On évite d'y laisser des plumes.
Se donner corps et âme à l'entreprise comme on pouvait le faire avant n'est pas seulement naïf, c'est à la limite du stupide.
C'est pour ces raisons qu'on cherche des conditions de travail correctes, qu'on est exigeants vis à vis de notre hiérarchie, qu'on tient à continuer à se former et à progresser (parce que si tu risques de te faire virer d'ici 3 ans, autant s'assurer de pouvoir retrouver un emploi...).
C'est l'ambiance dans laquelle on a grandi, et celle dans laquelle on a commencé notre carrière, qui nous as rendu comme ça.
C'est pour ça que je refuse de mettre ma santé en jeu dans le travail : parce que je sais que je n'en serai pas remerciée. Donc non aux semaines de 60 heures sous-payées, non aux conditions foireuses, non aux contrats-qui-n'en-sont-pas (et qui ne me protègeront pas en cas d'accident). On refuse en fait de voir nos vies brisées par l'entreprise, comme ce que trop de nos aînés ont vécu
.
Et tu aurais certainement réagi de la même manière à notre place.