envy4 Merci beaucoup pour ton commentaire, ça m'a fait très plaisir

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Ces derniers jours ont été calmes pour nous. Pastor est au pré h24 depuis jeudi après-midi, mais le groupe change encore beaucoup entre ceux qui ne sortent que quelques jours, ceux qui rentrent pour la nuit... Pastor s'est attribué l'autre dominant du groupe et empêche quiconque de l'approcher. En soi, ils sont plutôt potes donc ce n'est pas un problème. Sauf que le hongre en question, lui, voudrait vraiment très fort pécho des juments (qui sont toutes agglutinées autour d'un 3e hongre qui se prend pour dieu sur terre, du coup). Vendredi il était dans un état de stress incroyable quand je l'ai sorti du pré pour lui donner ses compléments, totalement paniqué de voir "son" pote (enfin, sa chose, plutôt, parce que c'est moyen consenti comme relation mdr) repartir essayer de se faire un autre groupe. Donc je lui laisse quelques jours pour se poser. Le bon côté, c'est qu'il bouge beaucoup mdr, il n'arrête pas de trotter derrière l'autre. Il n'a pas encore le panier non plus, je ne voulais pas ajouter de stress...
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Donc à défaut : pavé !
Je vous parlais il y a quelques temps du fait que le R+ n'est pas forcément respectueux des émotions du cheval et qu'il peut aussi être coercitif. Je vais prendre un exemple pour illustrer:
Il y a quelques semaines, je voulais mesurer le périmètre thoracique de Pastor, et je n'avais pas de mètre de couturière, uniquement un mètre de bricolage (ceux qui s'enroulent tout seul et tiennent à plat). C'est possible de mesurer un truc rond avec, mais la bande fait du bruit quand on la plie. Je joue donc d'abord un peu avec l'objet, je laisse Pastor le sentir etc, puis j'essaie d'aller lui mettre sur le dos. Il me surveille, se tient très immobile, mais ne bouge pas car j'ai cliqué / nourri chacune de mes approches... Sauf qu'il était bien clair sur sa tête qu'il n'était pas rassuré et pas ravi de la situation.
J'ai tout arrêté et j'ai été me mettre dans un coin du box, à l'écart de l'eau et du foin, et je suis restée là à jouer avec mon mètre. Il m'a observée pendant un moment, avant de venir interagir. Je l'ai laissé faire, sans cliquer, en chipotant juste avec l'objet, sans essayer de l'approcher de lui, ni de le toucher avec. Quand il a arrêté d'investiguer, je suis passée dans la phase "éducative". Mon but étant de lui mettre le mètre sur le dos, je voulais renforcer le fait qu'il ne garde pas sa tête dans le chemin (ce qui est un moyen de protéger l'accès à son corps). J'ai donc commencé à mettre l'objet dans mon dos à chaque fois qu'il s'en détournait même d'un demi-centimètre. Après une mini pause, je présentais le mètre à nouveau, je le laissais investiguer s'il le souhaitait encore, puis je le cachais dès qu'il s'en détournait.
Pour autant, il n'était toujours pas super fan de me laisser approcher par le côté, donc j'ai modifié un peu la logique en présentant le mètre devant sa tête et je le retirais quand il venait mettre sa tête par en dessous (par exemple, en touchant avec le chanfrein). Petit à petit, il a compris "le jeu", et j'ai pu remonter le mètre sur sa tête, puis par derrière les oreilles, l'encolure.... En fait, j'ai ouvert mon mètre en grand avec une forme d'accent circonflexe, et j'ai laissé Pastor "se l'enfiler" par dessus la tête jusqu'à atteindre le dos. Je n'ai ni cliqué, ni nourri durant tout ce processus (sauf à la toute fin, après lui avoir mesuré le bide).
La différence, c'est quoi ? Une forme de chantage à la nourriture. J'aurais pu aller vachement plus vite en nourrissant beaucoup, mais dans ce cas, il ne l'aurait fait que pour la bouffe, en prenant sur lui malgré son inquiétude. J'ai préféré reconnaître que dans la situation, mon mètre était un aversif (= ça fait peur), et par extension, moi probablement aussi. Je m'en suis remise à sa curiosité et au fait qu'il est courageux quand il a confiance en le fait de maîtriser la situation.
En pratique, qu'est ce qui s'est passé : c'est lui qui a choisi d'initier les interactions, je n'ai jamais été vers lui, et je ne l'ai pas activement touché avec le mètre. Je l'ai laissé reculer, s'écarter ou se tourner quand il le désirait, sans jamais me déplacer avec lui. Je ne me suis pas placée entre le foin ou l'eau, lui laissant la possibilité de m'ignorer et d'aller manger un peu (ce qu'il a fait à un moment, avant de revenir vers moi). J'ai reconnu que ma demande était aversive et je lui ai fais comprendre que j'en avais conscience en retirant l'aversif dès qu'il faisait la démarche d'essayer de comprendre ce qu'il se passait. Cependant, s'il avait préféré rester à l'écart et ne pas interagir... Il ne se serait rien passé. Je ne l'aurais pas mesuré, tant pis.
C'était donc du R-, dans un cadre que j'estime moins coercitif que le R+. Ici, Pastor n'avait pas grand chose à gagner de faire ce que je voulais, et je ne voulais pas rentrer dans une logique de "si tu ne le fais pas, tu n'auras pas de bonbons". Je souhaitais qu'il soit un participant actif et volontaire de la démarche, et pour ça, il faut nécessairement que l'aversif ne soit pas contrebalancé.
Personnellement, je trouve que c'est une façon saine d'utiliser le R-, et ça rejoint un peu le principe du "R- sans escalade" qui est défendu par pas mal d'entraîneurs qui font aussi du R+ (notamment Lockie Philipps, Andrea Mills, et il me semble, Mustang Maddy aussi). L'idée étant que oui, on utilise un aversif potentiel, mais la mauvaise réponse du cheval ne doit avoir aucune conséquence désagréable pour lui, il garde la possibilité de partir, arrêter de participer. Le fait de donner au cheval le contrôle de la situation, qu'il ait conscience qu'il peut choisir de tout arrêter, les aide à aller au delà de leurs limites en restant dans le confort car c'est plutôt la curiosité et la réflexion qui les motivent..
C'est avec ce type de R- que l'on construit un "non" qui est poli et respectueux du cheval. Même si on se dit "clicker trainer" ou "entraîneur en R+", on peut être aversif. C'est le cheval qui décide à l'instant T si on en fait trop, si c'est trop dur, si ça fait peur. Le fait qu'on donne des bonbons à la fin n'y change rien. Être capable de reconnaître ces émotions négatives dans le quotidien permet au cheval de ne pas devoir aller lui-même dans l'escalade pour se faire entendre.
Arrivé ici, certains d'entre vous se disent peut-être : oui mais si tu recules / arrêtes tout dès que le cheval ne fait pas ce que tu voulais obtenir au départ (par exemple, le cheval fuit quand on lui présente un parapluie, et on retire le parapluie), est ce qu'on ne renforce pas la fuite ? Est-ce que ça ne crée pas des chevaux qui ne veulent plus rien faire ?
C'est une question de mesure. Souvent, on veut aller trop vite, trop loin, donc on se retrouve avec un cheval qui réagit déjà très fort dans l'opposition. Arrivé là, si on interrompt le stimulus quand le cheval est déjà en train de se mettre debout au bout de la longe, oui on renforce la défense. Mais c'est très différent d'une approche qui attend que le cheval initie l'exercice et/ou qui propose avec des étapes tellement petites et progressives qu'on interrompt dès que le cheval murmure qu'il n'est pas à l'aise. S'il a confiance dans le fait qu'on ne le poussera pas au-delà de ce qu'il est capable de supporter... alors il n'aura jamais besoin d'aller plus loin dans la défense.
Ce concept, d'ailleurs, fonctionne pour l'humain aussi. Je n'ai pas la référence de l'étude, car on me l'a expliquée à l'oral, mais ça aurait été testé chez des humains. Deux groupes ont subi des interventions de routine chez le dentiste. Un des deux groupes avait accès à un bouton d'alarme avec la promesse que s'ils appuyaient dessus, le dentiste interromprait immédiatement ce qu'il était en train de faire (sans "encore une seconde, j'ai presque fini" ou ce type d'excuses). Les deux groupes ont du répondre à des questions ensuite. En moyenne, le groupe qui avait eu accès au bouton stop ont eu besoin de moins d'anti-douleurs, ont laissé une note plus élevée de confort au dentiste, ont partagé moins de plaintes concernant l'inconfort alors qu'ils ont globalement peu ou pas utilisé le bouton tout court. Le simple fait de savoir qu'on peut interrompre quelque chose qui fait peur ou mal est générateur de confiance et nous permet de dépasser nos limites. Et c'est très différent d'un R- où l'approche est déjà trop brusque, génère une défense chez le cheval et où on n'a plus le choix que "d'attendre une bonne réponse" pour interrompre le stimulus, alors que nous avons déjà été responsables de "la mauvaise réponse".
Je finirai en citant en traduction libre un extrait d'un texte de Lockie Philips que j'ai lu ce matin, et que j'ai trouvé très très juste:
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Mais dans les endroits où je me rends, et les chevaux que je vois en ce moment, la désensibilisation est un outil sur-utilisé. Un outil sur-utilisé et puissant qui est appliqué sur des chevaux qui n'en ont pas besoin. Ces chevaux deviennent sourds, ils arrêtent d'écouter. Quand ils arrêtent d'écouter, leurs entraîneurs escaladent la pression jusqu'à ce que le cheval recommence à écouter. C'est un biais de confirmation que l'escalade de pression fonctionne. Puis, le cheval dépasse son seuil de tolérance. Et ils ont besoin de désensibilisation. Et le cercle vicieux continue."