Motivée notamment par mes échanges avec certains des lecteurs de ce post ces derniers temps, je reprends les pavés informatifs avec le sujet : LIMA (non, je n'ai pas prévu un voyage au Pérou).
On parle souvent du R+ comme si c'était une méthode en elle-même. Le R+ est opposé au R-, à l'équitation éthologie, voire même à l'équitation classique parfois. Je pense que si ça s'oppose, c'est probablement dû au fait que s'engager à fond dans la voie du R+, c'est donner une autre place au cheval, qui fait que nos objectifs changent, et qu'on envisage le sport équestre différemment. Mais ça ne veut pas dire que c'est incompatible. Le soucis néanmoins, avec le fait de voir le R+ comme une méthode, c'est que ça limite la réflexion, que ça prend peu en compte le rôle qu'on joue dans les interactions et qu'on peut penser que tout est ok sous prétexte que le cheval reçoit un bonbon au final. Or, le R+ peut parfaitement être coercitif aussi, ce n'est pas la panacée.
Donc, LIMA, c'est quoi ? C'est un acronyme anglais pour "Least Intrusive, Minimally Aversive"
Le moins intrusif et minimalement aversif. A ma connaissance, c'est la Dr Susan Friedman qui a présenté cette approche la première fois, et son idée est qu'il n'existe pas UNE méthode pour régler un problème, il en existe beaucoup, mais certaines sont plus intrusives et aversives que d'autres. Elle présente ainsi une échelle des approches, avec par exemple le schéma suivant:
Prenons l'exemple d'un cheval qui mord au sanglage. Qu'est ce qu'on peut faire ? (je vais dans l'ordre inverse de lecture du schéma, du haut vers le bas, je discuterai à la fin pourquoi il faut le lire de bas en haut)
Le punir positivement: Quand il tente de mordre, on lui donne un coup de poing dans le nez, jusqu'à ce qu'il abandonne l'idée de mordre.
Appliquer du renforcement négatif, de la punition négative ou de l'extinction : On peut maintenir le contact de la sangle tant que le cheval essaie de mordre, et relâcher la sangle dès qu'il cesse (R-), ou ignorer le comportement jusqu'à ce que le cheval abandonne (extinction). Je ne vois pas de possibilité d'application de la punition négative dans cet exemple, vu qu'il s'agirait de retirer au cheval quelque chose qu'il voudrait obtenir.
Renforcer un comportement alternatif (= renforcement différentiel): Quand le cheval prévient qu'il va mordre (oreilles couchées, tête relevée, par exemple) on interrompt le sanglage, ou on donne autre chose à mordre au cheval que l'humain.
Renforcement positif: Pas vraiment d'exemple spécifique ici non plus, on pourrait utiliser du renforcement positif dans un protocole de renforcement différentiel (par exemple en cliquant + friandise le moment où le cheval se contente de coucher les oreilles), sinon il s'agirait plutôt de contre-conditionnement, en nourrissant le cheval en parallèle du sanglage et cesser de le nourrir dès qu'on ne sangle plus ou lorsque le cheval menace.
Arrangement des antécédents: Les antécédents sont, de manière générale, les circonstances qui entourent le comportement sur lequel on veut travailler. On pourrait attacher le cheval de façon courte pour qu'il ne puisse mordre, ou changer de sangle (plus molle, plus douce, plus ergonomique, etc) pour que le sanglage soit plus confortable. On espère, par cet arrangement, que le comportement disparaisse simplement par lui-même.
Prise en compte du bien-être physique et mental: On appelle le vétérinaire pour vérifier si le cheval n'a pas mal au dos ou au ventre, ce qui causerait la morsure en premier lieu. Si le cheval a des ulcères, il est probable que les traiter règle le soucis de morsures sans même devoir "éduquer" le cheval.
Pourquoi lire le schéma de bas en haut ? Car il représente - en théorie - une pyramide des approches les plus éthiques pour éduquer un animal (pour rappel, la Dr Friedman n'est pas entraineuse de chevaux, LIMA s'applique à toutes les espèces, y compris l'humain). L'exemple que j'ai pris est volontiers simpliste, la plupart des cavaliers vont probablement envisager la piste de la douleur quand il s'agit d'une morsure au sanglage, mais faire cet exercice avec d'autres exemples aide à creuser le "pourquoi" dans nos réactions, et dans celles du cheval. Que faire avec:
- Un cheval qui dépasse ?
- Un cheval qui chauffe en carrière ?
- Un cheval qui tape dans sa porte au moment de nourrir ?
...
Dans les approches les plus courantes de l'éducation du cheval, on démarre très souvent à l'avant dernier niveau. Les techniques d'éducation sont souvent intrusives ET aversives, et laissent peu de place au ressenti du cheval. LIMA ne prétend cependant pas que toutes ces techniques n'ont AUCUNE place dans l'éducation, seulement qu'elles devaient être appliquées dans cet ordre. Par exemple, on ne devrait pas mettre un coup de poing à un cheval qui mord au sanglage avant d'être passé par toutes les autres étapes pour tenter de résoudre le problème. Simplement parce que très souvent, il y a une solution moins aversive et moins intrusive.
(Si vous avez pensé ("
mouais, enfin, attacher plus court un cheval qui veut mordre parce qu'il a mal, simplement pour l'empêcher de mordre, ça reste vachement intrusif !" vous auriez raison. Le succès d'une approche LIMA ne tient qu'à la bienveillance de celui qui l'applique).
J'aime beaucoup cette approche pour sa réflexion éthique, et je pense que tous les éducateurs d'animaux devraient être familiers avec cette logique. La seule chose que je lui reprocherais peut-être, c'est de placer l'extinction et la punition négative sur le même pied, le premier étant émotionnellement beaucoup plus rude pour l'animal que le second.
L'extinction est le processus par lequel un comportement disparaît,
car son renforçateur a disparu. Imaginons un cheval qui tape dans sa porte de boxe au moment du nourrissage. C'est un comportement superstitieux : le cheval l'a fait un jour, il a été nourri, il a recommencé le lendemain car dans sa tête il s'est passé
"j'ai tapé -> j'ai eu de la bouffe". En pratique, on ne devrait JAMAIS nourrir un cheval qui est en train de taper dans sa porte pour éviter d'installer ce comportement. Une fois que c'est fait, néanmoins, on peut soit:
- tenter de le mettre sur extinction : on attend qu'il cesse de taper pour le nourrir, même si ça prend 4 heures.
- punir négativement : se barrer avec la ration dès que le cheval tape.
L'extinction est
TRES (
très) (vraiment,
très) souvent un échec total à cause de l'humain. Nous n'avons pas la patience d'attendre l'extinction, les animaux sont bien meilleurs à répéter un comportement que nous d'attendre qu'il disparaisse. De plus, le processus met l'animal dans un stress intense (
"mais pourquoi ça marche plus !!!!!") qui le mène généralement à essayer
encore plus fort et c'est généralement à ce moment-là que l'humain craque. Avec notre cheval qui tapait de l'antérieur dans sa porte, il est peut-être en train de se jeter dans la porte avec le poitrail, et là l'humain craque :
je vais le nourrir sinon il va se blesser... Et paf, on a renforcé le fait qu'il fallait à moitié défoncer la porte pour être nourri.
La punition négative est
mentalement rude aussi, mais
la conséquence est immédiate et claire pour le cheval. Si l'humain est constant et punit directement et sans équivoque, alors ça marche hyper vite, surtout quand il s'agit de nourriture. En revanche, ça peut aussi créer des problèmes de frustration car comme toute punition (positive ou négative), elle n'indique pas au cheval
quelle alternative employer pour arriver à son résultat souhaité. Un bon protocole serait de coupler la punition négative au renforcement différentiel : si tu tapes dans ta porte, je me casse, mais si tu touches le ballon qui est pendu dans ton box, je jette un peu de nourriture dans ta mangeoire.
(Je n'ai malheureusement pas retrouvé la vidéo, mais c'est un protocole qui a aussi été utilisé avec succès dans des cas d'agressivité lors du nourrissage. Les extraits vidéos étaient vraiment bien choisis.).
En théorie, suivre l'approche LIMA permet d'avoir l'approche la plus éthique pour l'éducation des animaux. En pratique, par contre, c'est souvent difficile de toujours travailler sur les étapes de base, notamment dû au fait qu'on n'a pas nos chevaux chez nous. Je pense qu'on peut tous penser à des cas où nos vies seraient plus faciles si : y avait pas la route à côté, les chevaux étaient nourris à une autre heure, avaient plus de foin, étaient au pré, étaient en paddock stabilisés, en groupe unisexes, ... etc etc
Donc, au quotidien, on doit prendre en compte nos émotions, celles de nos chevaux, nos limites, et les perspectives des deux partis. Ca sera mon intro de ce que je reproche au behaviorisme (le manque de prise en compte des émotions) et pourquoi il y a des situations où j'argumenterais qu'en fait, le renforcement négatif est moins coercitif que le renforcement positif.
Spoiler 1: ça n'implique pas le fait de faire travailler ou monter les chevaux
Spoiler 2 : l'exemple implique Pastor et son gros bedon, sa réaction face à un mètre métallique qui fait un drôle de bruit quand la bande est pliée et mon moment de désespoir en me disant que j'aurais mieux fait de prendre un jour de plus pour lui mesurer le bide, plutôt qu'avoir cherché une solution un dimanche matin dans un magasin de bricolage.