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Pastor de vara, histoire d'une leçon d'ancrage
Posté le 10/03/2023 à 21h38
Je réfléchissais à comment parler de cette question du contrôle (du point de vue de l'animal) qui me fait beaucoup réfléchir pour le moment et en cherchant mon axe d'approche, je me suis dit que ça manquerait peut-être de recul pour que ça soit compréhensible. Donc je vais faire un petit résumé du cours de Dr Friedman, parce que ça me permettra d'évoquer aussi un peu plus précisément pourquoi " l'équitation éthologique " me parle peu (et pourquoi je suis d'avis qu'on met trop l'accent sur l'éthologie), cette fameuse question du contrôle, mais aussi les neurosciences affectives et les systèmes émotionnels qui sont un peu mon dada de 2023.
Reprenons donc au début : qui est la Dr Susan Friedman ? C'est une psychologue behavioriste qui a été une des pionnières dans l'utilisation de l'analyse appliquée du comportement aux animaux domestiques. Elle travaillait à l'origine avec des enfants "à problèmes". En effet, la psychologie behavioriste englobe tous (ou la plupart) des mammifères, y compris les humains :-)
Le behaviorisme c'est quoi ? En très court, c'est une approche du comportement qui se base sur les travaux de Frederic Skinner, dont le travail a profondément marqué le 20e siècle, notamment en introduisant le concept du conditionnement opérant. C'est là-dedans qu'on retrouve les concepts de renforcement et de punition, de positif et de négatif.
Comme son nom l'indique, cette façon d'aborder le comportement met... le comportement au centre. En analyse appliquée du comportement, on vise à comprendre (et si nécessaire, modifier) des comportements grâce à une analyse simple et qui comprend trois éléments : le comportement, les antécédents, et les conséquences. (En anglais, on appelle ça un "ABC" pour "antecedents, behaviour and consequences"). Un des buts de cette analyse est d'avoir une vue sans biais et sans interprétation de ce qui se passe, sans faire de jugement, ni utiliser de labels ou de concepts flous pour décrire la situation. Ainsi, on ne dit jamais ce que l'animal "est" mais on décrit uniquement ce qu'il "fait". En plus de cet ABC, on ajoute les antécédents distants (ce qui s'est passé un certain temps avant le comportement, et qui pourrait l'influencer) ainsi qu'une prédiction : sur base de la chaîne qu'on a observé, qu'est ce qui risque de se passer à nouveau dans le futur ?
Je vous mets quelques exemples :
A : L'humain présente un licol au cheval
B : Le cheval met son nez dans le licol
C : L'humain donne une pomme au cheval
Prédiction : Il est probable que le cheval mette son nez dans le licol lorsque l'humain le lui présente, afin d'obtenir une pomme
A: L'humain met la selle sur le dos du cheval
B : Le cheval tourne la tête pour mordre l'humain
C : L'humain met une claque au cheval
Prédiction : Lorsque l'humain met la selle sur le dos du cheval, il est probable que le cheval évitera de tourner la tête pour mordre, afin de ne plus recevoir de claque
Ces deux exemples sont assez simplistes et à première vue, on aurait tendance à dire qu'il s'agit de renforcement positif pour le premier et de punition positive pour le second. Mais c'est là que l'importance du mot prédiction prend tout son sens. Dans le langage courant, on a tendance à faire un raccourci entre "carotte = renforcement positif", "stick = renforcement négatif", etc alors qu'en réalité, le renforcement n'est pas un objet. Renforcer veut dire "augmenter la probabilité que le comportement se produise à nouveau dans le futur", tandis que punir veut dire "diminuer la probabilité que le comportement se produise à nouveau dans le futur". On parle de probabilité dans les deux cas, car ...
Et si dans le cas numéro 1, lors de la seconde tentative, le cheval ne met pas le nez dans le licol ? Et si dans le cas numéro 2, le cheval mord à nouveau quand on le selle le lendemain ? C'est là qu'entrent en jeu les antécédents distants:
Exemple 1: si le cheval n'aime pas les pommes, recevoir une pomme n'a pas été un renforcement. C'est probablement une conséquence neutre (voir même une punition !) Si le cheval a mal à la nuque, se faire mettre un licol est peut-être trop aversif par rapport à la valeur de la pomme, la pomme n'est donc pas un renforçateur suffisant pour encourager la reproduction du comportement. Si le cheval est piétine, hennit, tourne en rond car tous ses copains de pré sont partis, et il se retrouve seul, il n'est peut-être pas en mesure de prendre en compte l'antécédent (on lui présente le licol) et ne fait donc pas le lien entre mettre le licol = recevoir une pomme.
Exemple 2: c'est un grand classique, mais si le cheval a mal au dos ou au ventre, se prendre une claque le dissuadera peut-être sur le moment, mais ne suffira probablement pas pour éteindre le comportement, car l'antécédent distant qui motive le comportement (= la douleur) est toujours présent. (Ma formatrice en comportementalisme aurait dit ce n'est pas une punition, c'est de la violence gratuite)
Cette prédiction, elle est hyper importante, et c'est son oubli qui - je pense - fait qu'on galvaude souvent les termes renforcements négatifs / positifs et punitions. Hier par exemple, je regardais une vidéo qui présentait l'apprentissage de baisser la tête (si vous avez envie de vous gratter le cerveau, la séquence ci-dessous j'en ferais une chaine de 3 ABCs. Si ça vous intéresse à ce point, je veux bien la faire dans un prochain message):
L'humain met de la pression sur le licol, on augmente la pression sur le licol jusqu'à ce que le cheval réagisse en baissant la tête, on relâche la pression sur le licol (R-), on gratouille le cheval (R+).
La gratouille est-elle vraiment un R+ ? Ou juste une façon pour l'humain de se donner bonne conscience ?
- Si je garde le même protocole, mais que je supprime juste la gratouille à la fin, est-ce que le cheval baisse toujours la tête ?
- Si je garde le même protocole, mais que je supprime le relâchement de la pression (donc je gratouille alors que la pression est maintenue) est-ce que le cheval continue de baisser la tête (ou est-ce qu'il cherche une autre solution ?)
- Si je change la façon dont le cheval baisse la tête (par exemple, en me mettant accroupi pour l'attirer par effet miroir) et que je le gratouille en réponse, est ce que le cheval va continuer de baisser la tête après x répétitions (ou est ce que sa curiosité s'épuise et qu'il me regarde faire des squats sans plus baisser la tête ?)
- Est ce que les règles de contingence (le comportement et la conséquence sont toujours liés) et de contiguïté (la conséquence suit le comportement en une fraction de seconde) sont respectées pour que le lien entre le comportement et la conséquence soient faits ?
Y a pas de réponse universelle, ça dépend du cheval et comment la situation se joue exactement. Pour cet exemple précis, je pense que dans la plupart des cas, le cheval n'en a rien à cirer d'avoir un grat-grat d'une demi seconde sur l'encolure. Par contre, si on change l'exemple et qu'on parle d'un cheval qui est en train de muer, que ça le gratte DE OUF sur les fesses et qu'on le gratte vigoureusement dès qu'il aspire les hanches... Là, la gratouille est sans doute un R+ et pourrait être la vraie raison pour laquelle le comportement se reproduit, même s'il y a un code basé sur pression / relâchement au milieu.
Pourquoi est ce que j'aime cette approche ? (Vous avez sans doute pensé "parce que tu aimes te prendre la tête !" et vous auriez pas tort mdr) Parce que ça élimine les suppositions en fait et ça donne une méthode facile à appliquer, versatile et flexible dans toutes les situations. Evidemment, on n'a pas besoin de faire une telle analyse pour chaque interaction qu'on a avec son animal mais quand on a un soucis, il est assez facile de faire ce petit ABC pour se dire "ok, qu'est ce qui se passe juste avant que mon cheval fasse ce truc qui me plait / plait pas" et "par conséquent, qu'est ce que je peux adapter dans l'antécédent ou la conséquence pour que ce comportement se reproduise plus souvent / moins souvent" .
Je trouve ça beaucoup plus transparent que "il te domine / il te respecte pas / il est stressé / il est paresseux / il est joueur" parce que aucun de ces labels ne décrit ce que le cheval fait vraiment et ça ne nous dit rien sur quoi faire pour adresser précisément CE comportement. Cela met en avant notre responsabilité dans le comportement offert par l'animal (car souvent, nous sommes la source de l'antécédent et de la conséquence !)
Note : dans la vie de tous les jours, évidemment, je suis bien d'accord que l'utilisation de ces mots "fourre-tout" est bien pratique pour pas prendre 5 minutes à décrire un comportement en parlant avec quelqu'un
La deuxième raison pour laquelle j'aime cette approche, c'est qu'on parle de l'individu X à l'instant T dans des conditions Y. Un cheval peut dépasser l'humain pour plein de raisons. Un cheval peut mordre pour plein de raisons. Un même cheval peut mordre ce matin parce qu'il a mal au ventre, et mordre l'après-midi parce qu'il est frustré que sa ration n'arrive pas assez vite. Si on dit que ce cheval "manque de respect" parce qu'il mord... Ben on règle pas le problème. Pour cette raison, on arrive souvent à des escalades d'inconfort / punitions qui gèrent la situation là tout de suite, mais ne traitent pas la cause du problème, et n'ont donc pas nécessairement d'impact à long terme. C'est notamment pour cette raison que les entraîneurs qui s'inspirent ou se disent "behavioristes" se content la plupart du temps d'ignorer les "mauvais" comportements, car si on travaille sur la cause, il n'y a pas besoin de traiter la conséquence.
J'en arrive donc enfin à l'éthologie. Est ce que behaviorisme et éthologie sont incompatibles ? Pas du tout ! L'éthologie de chaque espèce doit informer la lecture des comportements qu'on fait d'un animal. Par exemple, durant le cours, Susan Friedman nous a montré de nombreuses vidéos avec des oiseaux et j'ai plusieurs fois raté mon analyse car j'ai interprété le comportement de l'oiseau comme une menace / un signe de frustration suite au contact avec l'humain. Alors qu'en réalité, c'était un comportement qui exprimait du "plaisir" !
De manière générale, je dirais que l'éthologie est particulièrement importante pour comprendre les antécédents distants d'un comportement, ainsi que la valeur des conséquences. Quelques exemples :
- Le cheval étant un animal social, s'il a été séparé de ses congénères et qu'il galope comme un fou dans son pré... Ca ne veut probablement pas dire qu'il a besoin de se défouler, ni qu'il est content
- Un cheval étant un herbivore qui se nourrit 16h par jour, s'il refuse une récompense alimentaire, c'est probablement que quelque chose ne va pas (douleur, maladie, ou "empoisonnement" de la récompense si celle-ci est toujours liée à un stimulus aversif). Par contre, quand on travaille avec un lion... C'est plus probable qu'il n'ait simplement plus faim.
- Les grands félins se nourrissent de proie qu'ils ont tué eux-mêmes. De la viande chaude / à température ambiante est un renforçateur plus puissant que la viande qui sort du frigo (testé dans les zoos !)
Bref, je pense que vous avez compris l'idée. L'éthologie étudie le comportement d'une espèce, dans des circonstances globales, ainsi que l'évolution de ces comportements, mais elle ne peut pas donner de réponse absolue à "pourquoi tel cheval fait tel comportement quand il est mis dans telles circonstances". Cette dernière partie est expliquée par la psychologie de l'apprentissage (les fameuses "théories de l'apprentissage" dont on entend plus souvent parler maintenant) et qui heureusement, commencent à faire leur chemin dans certains cours d'entraînement du cheval
(Je suis pas totalement bornée non plus, j'ai exploré le cours en ligne du comportement du cheval proposé par La Cense hier. Y a des trucs qui feraient hurler Susan Friedman cela dit. Enfin non, c'est pas son genre de hurler, elle aurait probablement juste dit "Yes, call it Dumbledore").
Bon, longue intro, mais si je ne remettais pas le contexte, ça aurait été compliqué de parler du reste. A venir, dans l'ordre qui m'inspirera donc:
- Le contrôle du point de vue de l'animal
- L'approche dite "LIMA"
- Ce qui me manque dans le behaviorisme : la place des émotions
- Les systèmes émotionnels des mammifères (Neuroscience affective, Jaak Panksepp)
- et probablement d'autres trucs, faut que je relise mes notes de cours
Note: Pour ceux qui me lisent et qui maîtriseraient ces sujets mieux que moi, vous gênez pas pour me reprendre. Y a des choses que je simplifie volontairement parce que je veux pas écœurer ceux qui traînent dans le coin à la base pour voir des photos. Mais y a aussi des choses que je sais pas / que j'ai pu mal comprendre.