J'enchaîne sur mes dernières conversations avec Emma Lethbridge; on a parlé du masquage que j'ai évoqué dans mon message précédent, et aussi de l'immersion. C'était une des questions que je lui avais posé suite au cours sur la peur et les traumas. Pour ceux qui parlent anglais et veulent la version complète, elle a répondu en vidéo sur sa page Facebook:
https://www.facebook.com/emmalethbridgehorsemanship
1) L'immersion, c'est quoi ?
C'est une forme de thérapie par exposition qui a, à l'origine, été développée en psychothérapie humaine afin de "traiter" la peur. L'idée est de présenter le stimulus effrayant à une intensité suffisante pour créer une réaction de peur intense. Par exemple: pour quelqu'un qui a une peur panique des araignées, on l'enferme dans une petite pièce sombre avec des dizaines d'araignées. Pour un cheval qui a peur de la selle, on lui accroche sur le dos direct et on le laisse se démerder avec. La théorie dit qu'il est physiologiquement impossible de rester dans cet état de peur intense pendant une éternité, le cerveau va donc finir par passer au dessus et "accepter" que le stimulus n'est pas effrayant / dangereux.
Dès qu'on est face à un stimulus qui génère une grosse réaction de peur (et on se rappelle qu'une grosse réaction de peur peut être exprimée par l'immobilité / la paralysie), qu'on ne peut fuir ou s'éloigner ou faire quoi que ce soit pour être au contrôle (*) de la situation... C'est de l'immersion. Par définition, c'est donc dangereux tant pour le cheval, que pour l'humain impliqué.
(* je reviendrai sur cette idée du contrôle prochainement, c'est un sujet dont on a beaucoup parlé dans le cours de Susan Friedman mardi dernier. Le contrôle serait un renforçateur primaire - au même titre que la nourriture, boire, l'appartenance à un groupe pour les animaux sociaux etc - car c'est le but même d'avoir évolué avec des modifications comportementales. On modifie nos comportements pour
en contrôler les conséquences et c'est pour ça que parfois, on choisit de faire des choses qui vont nous apporter des conséquences néfastes "juste parce que c'est moi qui décide". C'est aussi pour ça que le medical training fonctionne : pas tant parce que l'animal reçoit un morceau de bouffe après sa piqûre, mais parce qu'il a la possibilité d'interrompre la procédure. Des études ont été faites chez l'humain avec le même type de conclusion ! Bref, je trouve ça fascinant, j'y reviendrai).
Du point de vue éthique: ce n'est déjà plus très accepté socialement parlant pour l'humain, car c'est une expérience intense et qu'il existe d'autres solutions plus douces et progressives pour gérer les phobies. Néanmoins, quand c'est pratiqué, d'abord l'humain a consenti à la procédure, ensuite on ne l'abandonne pas à sa peur : il est accompagné, on lui enseigne des techniques pour rationaliser la situation et ses émotions (exercices de respiration, etc) et généralement, l'humain a une façon de communiquer qu'il veut arrêter l'expérience. Ce n'est pas vraiment possible avec un cheval.
2) Qu'est ce qui se passe dans le cerveau ?
Durant l'immersion, le cerveau du cheval lance toutes les alarmes que sa vie est en danger et déclenche la réaction (fuite, paralysie, attaque, en fonction du cheval et de la situation) en plus des signes physiologiques; augmentation du rythme cardiaque, ralentissement / interruption des fonctions non nécessaires, etc etc. Etant donné que cet état ne peut pas durer pour l'éternité (au bout d'un moment, faut bien retourner nourrir le corps quoi), la réaction de peur va finir par se dissiper, et le système nerveux parasympathique reprend le contrôle. C'est donc par épuisement que ça arrive.
Si on interrompt l'immersion avant que le système nerveux ne "plante" et se remette à zéro, on risque surtout de rendre le cheval plus peureux (c'est de la sensibilisation).
3) Les résultats de l'immersion
Le but pour la personne qui pratique l'immersion sur un cheval : le cheval ne réagit plus et n'a plus peur.
Mais, d'autres résultats sont possibles:
- La paralysie est enclenchée; le cheval est donc toujours en train de se noyer dans sa peur à l'intérieur, mais il ne bouge plus (c'est apprendre à ne pas bouger plutôt que apprendre à ne plus avoir peur). Si on s'arrête à ce moment-là, l'épuisement du système nerveux ne se fait pas et le cheval apprend simplement à ne plus bouger. C'est de la résignation acquise. Mais, à l'intérieur, son stress est toujours intense. A terme, le système nerveux reste "planté" et le cheval ne réagit juste plus à rien, ce qui a des conséquences sur la santé physique également parce qu'on a besoin du système nerveux pour faire fonctionner un bon nombre de nos fonctions vitales correctement (impact sur la digestion, l'immunité, ...)
- Le "frein" qui était mis sur la réaction et créait la paralysie lâche au moment où on ne s'y attend pas (ça peut être 3 mois ou 3 ans plus tard), et le cheval explose totalement et devient ingérable / dangereux sans "raison".
Comme vous le savez peut-être, entre la désensibilisation et l'immersion, la ligne est parfois mince, et on voit beaucoup de gens qui disent faire de la désensibilisation avec un cheval qui réagit très fort et ça ne devrait simplement pas arriver. Dès que la logique c'est "continue il va s'habituer" ou "continue jusqu'à ce qu'il ne bouge plus", alors que le cheval montre des signes intenses de peur, c'est de l'immersion.
(Si quelqu'un se dit arrivé à ce point "mouais, tu dis ça, mais ton cheval explose tout le temps", je réponds que ça n'arrive JAMAIS avec un stimulus qui l'effraie et dont j'ai le contrôle. Et peu importe la situation, s'il a explosé, c'est que j'ai merdé, point. Et c'est à cause de chacune de ces erreurs que je n'arrête pas de revenir en arrière sur la gestion de la peur.) On tombe aussi très vite dans l'immersion en utilisant la désensibilisation par masquage. De manière générale, c'est une technique d'entraînement toujours très pratiquée avec les chevaux car un cheval éteint la plupart du temps, c'est un cheval dont on fait ce qu'on veut et pour beaucoup d'humains, ça veut dire un cheval "pratique et assurance vie". En très résumé : ça marche, certes, mais ça veut pas dire que c'est bien.