PARTIE 3
Qu'est ce qu'on fait 2, mais qu'on ne devrait peut-être pas faire: immersion et désensibilisation par masquage.
- L'immersion je pense que y a plus grand monde qui trouve ça vraiment bien, mais on peut vite y tomber quand on perd le contrôle de la situation. L'idée est de plonger le cheval dans une réaction de peur intense, on lui balance directement le stimulus aussi fort que possible, on le laisse paniquer et on attend que ça passe. Y a un gars aux USA qui a voulu voir combien de temps un mustang pouvait fuir, il l'a poursuivi en hélico (ou en quad, je sais plus), la pauvre bête a cavalé pendant 48h avant d'abandonner. Cette pratique est en lien avec ce qui se fait chez les humains pour les phobies ou l'anxiété: on te plonge face à ta peur jusqu'à ce que tu réalises que non, tu vas pas mourir. La différence, c'est que l'humain peut rationnaliser son expérience, et qu'il est consentant. Ce n'est pas le cas du cheval, qui vit juste un stress intense sans savoir comment en sortir.
Ici se trouve une de mes questions pour la neurologue dont j'ai suivi le cours: ça veut dire quoi en pratique dans le cerveau. Est-ce que ça fait disjoncter le SNS ? Qu'est ce que ça a comme impact sur le reste du corps ? Pour les humains, ça commence à être plutôt bien étudié, notamment dans les cas de syndromes de stress post-traumatiques. C'est désastreux. Le cerveau change, le système immunitaire disjoncte, le sommeil change, y a plus rien qui va. Niveau éthique on est à -27000.
- La désensibilisation par masquage: je connaissais le terme mais j'y avais jamais trop pensé pour la peur. Par exemple, un cavalier qui a les jambes qui bougent lorsqu'il agit avec les mains va faire du masquage; le cheval n'est pas capable de répondre aux mains et aux jambes en même temps, et va "choisir" le plus désagréable des deux.
Pour la peur, c'est la technique de "occupe-le, fais le faire des cercles, fais le chasser les postérieurs" etc etc. En pratique, ça se base sur le fait que le cerveau ne peut se concentrer sur plusieurs stimulus à la fois (le cerveau du cheval, et le nôtre, c'est pareil) et se concentre donc sur le plus saillant des deux. On ajoute donc un stimulus plus complexe / douloureux / effrayant que celui qui a déclenché la réaction de peur.
Est-ce que c’est une bonne solution ?
Je dirais que ça dépend. Mon problème il est sur le concept d’un « stimulus plus saillant » que celui de la peur. Si mon cheval est légèrement inquiet, par exemple il a vu quelque chose et n’a pas encore décidé si c’était une menace, alors ça me va assez bien. Parfois les laisser piller sur quelque chose n’est pas une bonne idée, surtout dans des situations type « arrêt observation au milieu de la route ».
Par contre, pour une peur marquée, ça me pose problème. Si le cheval en est déjà à faire des écarts, des bonds, bref qu’il présente des défenses… Et on lui rajoute quelque chose DE PLUS INTENSE pour qu’il n’ait pas le choix que de réfléchir à où il met ses pieds ? Ou rendre le cavalier encore plus aversif/effrayant que le stimulus effrayant ? Je me demande si dans tous les cas, le résultat n’en sera pas de la résignation acquise, parce que dans les deux options, le cheval n’en a aucune qui est réconfortante / confortable.
J’ai récemment vu une vidéo d’une méthode de travail assez connue / populaire et dont la pub est très fréquente sur Facebook. Le coup classique du cheval qui veut pas aller dans le coin, le cavalier « réglait le problème » avec une flexion très marquée de l’encolure, chassant les postérieurs jusqu’à obliger le cheval à aller dans le coin (avec des aides d’une douceur infinie, évidemment). Franchement, moi ça me choque. Ca marche, je dis pas le contraire, mais ça me choque. Y a aucun respect pour le cheval là-dedans, c’est uniquement pratique pour le cavalier.
Récemment sur CA, on m’a répondu « ben oui mais avec les humains on fait pareil ! Un gamin qui a peur d’aller chez le médecin, on l’occupe ! » Certes. Mais on l’occupe avec des choses qui l’intéressent, lui font plaisir, en font une expérience positive. Le concept de « distraire » dans les manipulations avec l’humain est très différent de la distraction qu’on impose au cheval. Le jour où le médecin, me voyant en tachycardie dans la salle d’attente pour un examen de routine, me force à faire des pompes pour me changer les idées, je change de médecin hein.
Pour le coup, que ce soit R- ou R+ d’ailleurs, je suis contre. Et je pense même que si la peur est intense, tenter de faire du masquage en R+ c’est dangereux, parce que ça veut dire rajouter des stimulus très intenses (dans le SEEKING et le RAGE system), potentiellement de la nourriture à haute valeur pour motiver le cheval à faire autre chose que s’occuper du truc qui fait peur. Bonjour la bombe à retardement. C’est potentiellement déjà dangereux en R-, mais en R+ je pense que c’est pire.
Y a d’autres façons de gérer la peur, mais je vais pas aller dans tous les détails, chacun pourra continuer ses recherches s’il a envie. Personnellement, j’aime beaucoup l’idée d’aider mon cheval à « rebrancher son cerveau » pour que les nouvelles découvertes deviennent par défaut des a-priori positifs plutôt que des menaces. Combiné avec le contre-conditionnement quand il y a peur quand même (on peut pas tout contrôler), je trouve que c’est respectueux du cheval et de son ressenti. Je suis également persuadée que ça rend le cheval résilient à long terme et indépendant de son cavalier, car ça le rend vraiment capable de gérer ses émotions, plutôt que « je passe à travers parce que sinon ça sera pire ». Ca fait aussi partie des questions que j’ai posé à la neurologue.
Bon j’aurais encore plein de choses à dire mais c’est déjà énorme, donc je vais m’arrêter là. Si vous avez lu jusqu'ici, plein de coeurs sur vous
. Ca me fait plaisir de voir que mes réflexions intéressent (même si toutes ne sont pas partagées, et c'est bien votre droit). Hésitez pas à me partager vos réactions / commentaires sur le sujet :-)
Mes références principales pour écrire tout ceci :
- Le Cours « Working with Fear and Trauma in Horses » : https://courses.understandhorses.com/courses/working-with-fear-and-trauma-in-horses
- La page Facebook de l’auteure du cours, où elle commence à publier des vidéos pour répondre à mes questions :-) : https://www.facebook.com/emmalethbridgehorsemanship
- Living and Learning with Animals (cours de Susan Friedman) et le PEPS (formation de Carol Ann Doucet) pour l’analyse comportementale appliquée et le focus sur les antécédents des comportements. Chaque comportement a un antécédent, si on contrôle l’antécédent et la réaction face à celui-ci, on contrôle le comportement.
- La neuroscience affective de Jaak Panksepp pour les 7 systèmes émotionnels des mammifères : le début de cet article en français décrit les 7 systèmes : https://www.cairn.info/revue-gestalt-2015-1-page-81.htm
- Le livre « Le corps n’oublie rien : le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme » de Bessel van der Kolk. Ce livre relate l’évolution du traitement des traumatismes psychologiques chez l’humain (enfants mal-traités, abusés, vétérans de guerre, victimes d’accidents de voiture, etc) et l’impact sur l’esprit et le corps à court et moyen terme. C’est une lecture parfois brutale mais qui met également beaucoup l’accent sur le rôle du contact affectif et la bienveillance pour éviter et/ou guérir des traumatismes. Il y a aussi pas mal de contenu sur les changements physiologiques qui se produisent suite chez les individus confrontés à des stress intenses et répétitifs. Les traumatismes humains sont évidemment beaucoup plus complexes que ce qui peut se passer chez un cheval, mais tous les systèmes cognitifs et physiologiques en cause sont primitifs et partagés par tous les mammifères. Donc les traitements vont être différents, mais les impacts… pas tellement.