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Pastor de vara, histoire d'une leçon d'ancrage
Posté le 06/01/2022 à 07h10
Allez, me voilà avec un petit résumé de Sonja Weber ! Il s'agit de la première partie de son livre, sur la théorie de ce qu'est le rassemblé, avec par-ci, par-là des réflexions personnelles et/ou des liens avec d'autres choses que j'ai lu. Certains points tomberont sans doute sous le sens pour ceux qui se sont déjà beaucoup intéressés au sujet, mais bon... J'ai choisi de ne pas trier ! Les extraits cités sont des traductions libres de ma part.
C'est donc une discussion dans le sens "scientifique" du terme. Elle démarre avec les recommandations de la fédération nationale allemande sur ce qu'est le rassemblé et comment l'obtenir, un peu à la P.Karl. La FN définit donc le rassemblé comme suit :
"Equilibre léger sur une zone d'appui raccourcie avec des postérieurs actifs et sous la masse, dans une attitude auto-portante (...) Les postérieurs poussent plus loin sous la masse pour porter plus de poids (...) Le rassemblé se développe en récupérant l'énergie de l'arrière main grâce à la main du cavalier au travers d'un dos mobile"
L'élévation de l'avant-main serait donc une conséquence directe de l'engagement des postérieurs qui, en retour, récupèrent le poids. Pour obtenir cela, il faudrait développer la poussée horizontale ("Schubkraft", par opposition à "Tragkraft", la capacité de mise en charge) à travers l'extension d'encolure. C'est ce qui contribue au mythe que les jambes sont nécessaires pour créer la tension dans le dos (cette idée de l'arc, si on pousse derrière et qu'on résiste devant, ça se gonfle au milieu). Weber rejoint Karl en notant que dans un déplacement rassemblé (passage par exemple), les foulées se raccourcissent et les postérieurs sont donc moins sous la masse.
Elle en vient ensuite à Racinet (qu'elle cite beaucoup dans ce chapitre, elle se réfère également à Baucher, Steinbrecht, La Guérinière, Seunig et Jean Luc Cornille) qui évoque que le rassembler est une attitude naturelle que les chevaux adoptent notamment pour fuir: le garrot recule, la flexion des ischions et des jarrets crée un effet ressort et cette position à la fois haute et équilibrée permet au cheval de se déplacer dans toutes les directions (en avant, en arrière, n'importe quel côté). Dans la nature, les muscles nécessaires (dans le cas d'une fuite) ne sont tendus que pour quelques secondes (le temps que le cheval prenne la décision par où il va fuir -> mouvement alors horizontal). Cette remontée du garrot via le développement de la ceinture thoracique (qui peut s'affaisser jusqu'à 1.5cm rien qu'avec le poids d'un cavalier de 60kg) permet un développement de la ligne de la colonne vertébrale vers une horizontalité, voir même en montant (alors qu'elle est naturellement orientée vers le bas). Ceci n'est pas rendu possible par une poussée importante des postérieurs qui au contraire aplatit la croupe et fige l'avant main (ce qui est nécessaire pour courir vite et loin dans une direction).
Le rassemblé est donc une question d'équilibre et de densification du mouvement et non de raccourcissement. C'est l'organisation du corps du cheval, l'élévation des épaules qui permet à l'arrière-main de s'enrouler. Par conséquent, même un trot allongé devrait... être fait dans le rassemblé.
Anatomiquement, au niveau de l'avant-main, tout ceci se traduit par: une position plus diagonale des épaules, un garrot/la base de l'encolure qui recule (pouvoir amortissant amélioré, plus d'effort ressort pour l'arrière main). Les pré-requis en sont une base d'encolure et un passage de sangle stables, une jonction cervicales/dorsales en lordose, l'angle entre le sternum et les antérieurs qui se ferme (par le sternum, pas par les antérieurs qui doivent toujours rester verticaux). Ceci permet aux fascias et aux tendons, grâce au ralentissement de l'action de jouer leur rôle dans la re-distribution de l'énergie emmagasinée et par conséquent, de préserver les autres structures (c'est la tensegrité). Ceci n'est pas possible dans un mouvement rapide et en extension d'encolure (vu que le "ressort" est étendu, il n'emmagasine rien).
=> c'est une idée que j'ai déjà vue discutée par Simone Ravenel et Eva Van Avermaet sur Facebook, notamment sur le bien fondé de faire des séances de stretching répétées avec nos chevaux de sport qui sont déjà majoritairement hyperlaxes
Anatomie de la colonne vertébrale :
Les mouvements de la colonne sont tri-dimensionaux (latéral, longitudinal, rotations). Le rôle du dos est de stabiliser le mouvement en ingérant les forces pour les redistribuer. Si, en plein galop, le dos était tout mou et en train d'osciller, le cheval se déliterait littéralement. Il n'y a qu'au pas et dans une attitude de détente que cette ondulation du dos est préservée. La stabilisation du dos cela signifie moins de rotations au niveau des vertèbres, indépendamment les unes des autres. Elles doivent toutes fonctionner d'un bloc, et dans le sens du mouvement. Dans le cas d'une attitude rassemblée forcée ou de flexions extrêmes, les cervicales ont une rotation vers l'intérieur, tandis que les dorsales et les lombaires ont une rotation vers l'extérieur. Cela peut se remarquer avec l'impression d'être assis en dehors et à côté du cheval, ou à une impression que le cheval croise excessivement en désengageant le postérieur externe dans les déplacements latéraux (elle pointe du doigt de nombreux appuyers vu en concours internationaux). C'est cette rotation interne correcte qui génère l'incurvation, permettant au postérieur interne de venir sous la masse (coucou P. Karl une fois encore).
Le résultat de ce maintien dans le mouvement est la "diagonale positive" où on voit, particulièrement au trot, le postérieur se poser très légèrement avant l'antérieur.
=> E. Van Avermaet et Simone Ravenel (Equimetric) ont récemment partagés de très nombreux observables sur ce sujet-là aussi. Notamment de nombreux cas de "trot à trois pieds" en CDI avec des chevaux qui ont un antérieur en plein milieu du corps et les 2 postérieurs qui volent derrière. Ce qui est, donc, une diagonale négative.
Quel est le lien avec l'extension d'encolure vs non extension d'encolure ? L'horizontalité / la poussée vient des muscles moteurs, qui ne sont pas faits pour maintenir une position pendant longtemps et ne permet pas la mise en place de la tensegrité. Le dos ne doit pas être souple et mobile, mais une ancre pour le mouvement, en revanche, le bassin lui doit être mobile et fonctionnel pour distribuer les forces à travers le corps.
=> Je pense que c'est dans certaines vidéos d'Equitopia que ce point de blocage des SI est discuté en lien avec un mauvais fonctionnement du dos. Ce que j'ai trouvé "drôle" ce qu'ils sont partisans du travail "bas, long et ouvert" en disant que ça permet le rassemblé, mais ils font aussi un raccourci magique en mode "donc vous travaillez comme ça, puis vous redressez peu à peu et le cheval sera rassemblé" après avoir expliqué en long, large et travers, comme obtenir une attitude horizontale. Ca m'a laissé perplexe.
La conséquence d'un travail répété en "bas, long et ouvert" (S.Weber nomme ça "Dehnungshaltung" donc littéralement "attitude allongée") c'est que les forces générées par l'arrière-main sont réceptionnées par les muscles passifs de posture de l'avant-main, qui ne sont pas non plus faits pour ça (un cheval ne passe normalement pas sa vie à trotter activement le nez par terre). En quoi le rassemblé évite-t-il cet impact ? En générant un temps de posé plus long des postérieurs (a contrario de dire "plus de poids"), ce qui permet la mise en place de la tensegrité et un effet amortissant et freinant, ce qui préserve en retour l'avant-main. Cela se voit particulièrement bien au piaffer où ce sont les postérieurs qui freinent pour éviter que l'avant-main ne passe devant les antérieurs.
Elle cite encore Racinet qui contre l'idée que le relèvement de l'avant-main par l'action de la main du cavalier crée des dos creux: selon lui, cela arrive quand le cheval a été trop travaillé dans une attitude longue et très active, car les muscles de mouvement et le dos ont été fatigués, donc quand on le relève enfin, le cheval se creuse pour soulager ces muscles. On revient sur le point que les muscles moteurs ne sont pas faits pour tenir le cheval. De plus, ils sont moins bien innervés et les dégâts faits sur ces muscles (par exemple micro-fissures) se réparent donc moins bien et moins vite, ce qui, à terme, peut mener à des problèmes chroniques.
=> Sans parler du rassembler, G. Higgins évoque aussi cette différence musculaire.
Finalement, Weber fait le lien avec ses propres travaux sur l'intuition en biologie pour souligner l'importance du mental dans le rassembler. Evidemment, c'est un travail qui demande beaucoup de concentration au cheval, mais surtout, c'est le cavalier qui doit veiller à être dans " l'ici et le maintenant ". Il doit être conscient de lui-même, de son corps, du corps de son cheval bien sur mais aussi de l'état mental du cheval et de leurs interactions mutuelles. Si le cavalier n'est pas détendu et disponible, alors ça ne pourra pas fonctionner, car le rassembler est avant tout une question de décontraction pour tout le monde. L'impact du ressenti est énorme.
Elle finit avec quelques exemples qui, de son propre aveu, ne sont que de l'expérience et pas encore de la recherche, mais qu'on a probablement tous vécus: où le cheval fait un truc juste avant qu'on l'ait demandé par nos aides parce qu'on venait d'y penser. Probablement car même avant de le demander consciemment, on organise déjà notre corps pour se préparer à l'obtenir et nos chevaux sont souvent assez fins pour sentir cela, sauf si on les a abrutis par des années d'aides trop fortes et trop soudaines.
=> On retrouve aussi un peu l'idée de Beaupère ici, toujours commencer par l'aide la plus fine possible, juste un souffle et augmenter au fur et à mesure, au lieu de par exemple soudainement mettre les jambes pour demander une transition. Y a un extrait de vidéo sur Youtube qui m'avait beaucoup fait rire où il dit (en substance) "désolé de vous décevoir, mais la plupart de vos chevaux, quand vous les travaillez, ils pensent à autre chose et regardent le paysage. Alors si vous débarquez d'un coup avec vos aides il faut pas vous étonner que la réponse soit désorganisée".
A l'inverse, durant ma séance hier soir, j'ai eu plusieurs occasions où j'ai pensé "ah c'était top ça, encore un puis je fais une pause" et littéralement dans la seconde qui suit, j'ai Pastor qui me dit merde et tout fout le camp. J'ai non seulement loupé le coche de m'arrêter sur un truc bien, mais il m'a aussi bien montré qu'il était tout à fait investi dans ce qu'on était en train de faire et bien plus connecté que ce que j'aurais cru.
Dernière remarque de ce chapitre, que j'ai aussi trouvé hyper intéressante: le rassemblé n'est pas une question d'obéissance. Evidemment les chevaux doivent être éduqués et respectueux, mais il faut amener ce travail avec délicatesse et en laissant le cheval chercher et proposer des réponses. Pas de "il doit faire ça ou céder là", mais on lui donne un couloir dans lequel il a la liberté de tester, de se chercher lui-même. Une fois qu'il aura trouvé ce qui lui est confortable, il le re-proposera de lui-même à chaque fois, chaque cheval est différent, chaque individu proposera donc la version qui lui convient.
La deuxième partie du livre se penche sur le "comment" obtenir ce rassemblé avec plus de détails, mais ce qu'elle souligne, comme beaucoup d'auteurs classiques, c'est l'importance du travail au pas. Elle promeut un travail lent, considéré, en conscience et qui peut s'étirer sur des mois si nécessaire. Le travail au trot et au galop ne s'invitant que quand le cheval est décontracté, disponible et capable de bien s'équilibrer au pas (notamment dans les bases du travail de deux pistes). Elle ne fait que l'évoquer dans ce livre (car elle en a écrit un autre sur le sujet), mais ce travail ne débute évidemment pas avec un tout jeune cheval. D'ailleurs, elle débourre sur plusieurs mois avec beaucoup de travail à l'épaule et en longe pour préparer physiquement le jeune cheval à être monté.
Bon, désolée du pavé, j'espère que c'est clair ! Je suis levée depuis 5h du matin, fallait que je m'occupe d'une façon pertinente avant d'aller bosser XD. Bonne journée :-)